Rythmes et algorithmes : comment l’IA transforme la prise en charge des maladies cardiovasculaires

Avec 140 000 décès – et entre 300 000 et 400 000 accidents par an -, les maladies cardiovasculaires forment la première cause de mortalité en France. Si les facteurs de risques cardiovasculaires sont bien connus – alcool, tabac, stress, alimentation et inactivité -, les campagnes de prévention peinent toujours à en limiter les effets. La moitié de ces décès serait liée à des arythmies, des troubles du rythme cardiaque, comme la tachycardie ventriculaire* ou la fibrillation ventriculaire**. Au-delà des symptômes physiques – fatigue, essoufflement, palpitations -, le diagnostic est confirmé par un électrocardiogramme (ECG) ou un examen d’imagerie (échocardiographie, IRM cardiaque). Sans forcément être invasive, l’IRM cardiaque peut pourtant s’avérer éprouvante pour les patients : lors de l’examen, et pour garantir la meilleure qualité d’images, ils doivent réaliser plusieurs apnées successives. Comment améliorer leur confort tout en gagnant en résolution d’imagerie pour le diagnostic ?

L’IA pour reconstituer un jumeau numérique du cœur

Depuis quelques années, l’intelligence artificielle s’immisce petit à petit dans la pratique clinique. En matière d’imagerie médicale plus particulièrement, elle permet d’apporter de l’information nouvelle ou plus précise aux cliniciens. Au sein de l’unité Imagerie Adaptative Diagnostique et Interventionnelle et au CHRU de Nancy, Julien Oster cherche de nouveaux moyens de combiner les informations obtenues par l’IRM et les informations physiologiques cardiaques fournies par des signaux comme l’ECG. Cette combinaison permet la reconstitution de l’anatomie du cœur du patient grâce à une image numérique de haute résolution et permet de détecter les signaux anormaux et de mieux comprendre ce système biologique complexe qu’est le cœur, en somme un outil précieux d’aide à la décision clinique. “C’est en tout cas, l’objectif de notre recherche sur la prédiction de risque de tachycardie ventriculaire, qui cherche à répondre à la question suivante : peut-on mieux identifier les patients qui vont développer une tachycardie ventriculaire et les traiter avec une ablation du ventricule (NC cautérisation de zones spécifiques à l’intérieur du cœur à l’origine de la pathologie) et en même temps permettre aux patients à faible risque de vivre sans défibrillateur implanté ?” appuie-t-il. Pour ce faire, il utilise plusieurs types de données : signaux électrocardiogrammes (ECG), images IRM, images échocardiographiques, scanner, radios thoraciques, etc. “Chacune de ces modalités permet d’étudier un aspect différent du système cardio-vasculaire, explique Julien Oster. Par exemple l’ECG permet de caractériser l’activité électrique du cœur, l’échocardiographie d’évaluer la fonction cardiaque (comment le cœur contracte), alors que l’IRM permet une caractérisation structurelle du cœur (présence de fibrose, tissus adipeux, etc…)” précise-t-il.

Dans le cadre de deux projets soutenus par l’ANR, MEIDIC-VTACH et le projet Franco-Allemand MEDICARE, son équipe développe de nouveaux modèles d’IA génératifs moins gourmands en ressources en termes de calcul et de stockage de données. Là où les IA traditionnelles s’appuient sur de vastes ensembles de données pour apprendre, ces nouveaux modèles n’ont besoin que des données spécifiques du patient. Aussi, plutôt que de reconstruire des images pixel par pixel, ces modèles apprennent une fonction mathématique qui décrit comment les coordonnées spatiales (les points dans l’espace) se traduisent en intensité d’image (ce que l’on voit sur une image IRM). “Pour MEDICARE, nous cherchons à utiliser ces modèles d’IA pour reconstruire des images IRM cardiaque acquises de manière continue pendant que le patient respire librement. Ceci permettra à des patients dyspnéiques – difficultés respiratoires, entre autres – d’être diagnostiqué grâce à cet examen, alors que l’examen initial requiert que le patient réalise plusieurs apnées successives”.

Pour MEIDIC-VTACH, l’équipe a également mis au point une nouvelle méthode pour classer automatiquement les battements cardiaques pathologiques à partir d’enregistrements ECG pris pendant une IRM. Le défi ici réside dans la rareté des données d’ECG obtenues spécifiquement en IRM, rendant l’entraînement du modèle plus compliqué. Pour surmonter ce problème, l’équipe a utilisé une approche auto-supervisée. En d’autres termes, ils ont pré-entraîné leur modèle en s’appuyant sur un grand ensemble de données ECG standard, disponibles librement, mais qui ne proviennent pas d’examens IRM. Ce pré-entraînement permet au modèle de mieux comprendre les caractéristiques des ECG, facilitant ainsi son adaptation aux données plus rares acquises en IRM. Comme nous, plus il en apprend, plus il sait.

Pas de révolution mais une transformation des pratiques

L’IA peut-elle pour autant remplacer l’humain ? Non, insiste Julien Oster, mais elle ouvre de nouvelles perspectives et, surtout, ces outils libèrent du temps sur les tâches techniques pour les praticiens. Pour lui, il est ainsi prématuré de parler de “révolution” par l’IA, comme on l’entend souvent, dans la pratique clinique : “Même si de plus en plus d’outils sont déjà communément utilisés en routine, particulièrement en radiologie et en cardiologie, la pratique clinique n’est aujourd’hui pas complètement différente”, poursuit-il. Il note toutefois un vif intérêt du monde médical pour ces nouvelles technologies en quête de solution pour l’extraction d’informations personnalisées.

Car l’un des enjeux majeurs selon lui est de parvenir à développer un modèle d’IA capable d’intégrer plusieurs sources de données – imagerie, signaux électrophysiologiques, biomarqueurs sanguins, informations cliniques, génétiques ou environnementales – afin d’établir des diagnostics aussi précis que possible. Sans cette approche globale, il sera impossible de saisir pleinement la complexité du système cardiovasculaire et de créer des modèles personnalisés pour chaque patient. “De la même manière qu’un médecin ne va jamais baser son diagnostic sur un seul examen (mais va essayer d’extraire le plus d’informations possibles à partir des symptômes du patient, son environnement et différents examens), un modèle d’IA ne pourra pas extraire toutes les informations nécessaires à partir des résultats d’un seul examen. L’espoir est de pouvoir être capable de faire une caractérisation la plus fine possible pour chaque patient afin de lui proposer le traitement le plus adapté.”

Quid des données de santé

Mais l’irruption de l’IA en santé n’est pas sans soulever de nombreux questionnements et des enjeux éthiques. Les algorithmes d’IA sont des outils qui apprennent automatiquement à partir des données ; ils sont faits pour reproduire les annotations (segmentation, classification etc…) utilisées pour leur entraînement. “Si ces données sont de mauvaise qualité, bruitées ou mal annotées, les algorithmes d’IA vont reproduire ces erreurs. De même si la base d’entraînement est biaisée (genre, ethnicité ou absence de certaines pathologies) les solutions d’IA le seront également. Elles seront donc incapables d’analyser des données de femmes (souvent sous-représentées dans les études cliniques) ou de personnes ayant des maladies rares” reconnaît Julien Oster.

De nombreuses initiatives d’ouverture des données médicales (PhysioNet, UKBiobank, FastMRI, etc.) permettent déjà aux chercheurs de développer des modèles d’IA. Cependant, ces données proviennent principalement des États-Unis, de Chine ou du Royaume-Uni, où les populations diffèrent de celle de la France. Ainsi, les modèles d’IA basés sur ces données risquent de ne pas être adaptés à la population française et pourraient nécessiter une recalibration. Pour lui, il est essentiel que les chercheurs en France se regroupent pour créer une base de données multimodale de qualité, obtenue de façon multicentrique et sur la population française. “C’est l’objectif d’un projet récemment proposé par le CHRU et le Centre d’Investigation Clinique – Innovation Technologique de Nancy, visant à développer des outils pour collecter et partager des données multimodales (ECG, imagerie, biomarqueurs, clinique). Une collaboration nationale est indispensable pour développer des solutions d’IA adaptées à la population française, car un seul centre hospitalier ne peut rivaliser avec les grands centres américains ou chinois en termes de nombre de patients inclus.” conclut Julien Oster. Ainsi, l’IA offre des perspectives prometteuses pour transformer la médecine préventive et améliorer l’accès aux soins.

* Tachycardie ventriculaire : lorsque l’impulsion électrique prend naissance au niveau du muscle d’un des deux ventricules et non pas des oreillettes.

** Fibrillation ventriculaire : lorsque le cœur ne pompe plus le sang de manière efficace et peut alors provoquer un arrêt cardiaque

En savoir plus

Le site de l’unité Imagerie Adaptative Diagnostique et Interventionnelle

Reconstruction de l’IRM cardiaque intégrant le mouvement basée sur l’IA

Mobile Electro-Imaging for the preDICtion of Ventricular TACHyarrhythmia