Le rôle stratégique du multilinguisme dans les échanges scientifiques internationaux

Dans un contexte international où plus de 90 % des publications scientifiques en sciences, techniques et médecine (STM) sont publiées en anglais alors que 95 % de la population mondiale n’a pas l’anglais comme langue maternelle, l’intégration du multilinguisme et la traduction des publications sont des enjeux majeurs. En effet, « si la prédominance de l’anglais dans la communication scientifique facilite en partie les échanges internationaux, elle peut également être une source de difficultés pour les chercheurs non anglophones quand il s’agit d’exprimer correctement leurs pensées, concepts, idées dans une langue qui n’est pas la leur », explique Claire Giry en introduction de la matinée dédiée à la question « Pourquoi traduire ? ». « Une science multilingue, c’est une science par et pour le plus grand nombre », précise-t-elle ensuite.

Des initiatives en faveur du multilinguisme dans les échanges scientifiques internationaux

En 2019, l’initiative d’Helsinki sur le multilinguisme dans la communication savante mettait en lumière l’enjeu d’un partage des connaissances aux niveaux international et national, entre les communautés scientifiques et, au-delà, au sein de la société. Aujourd’hui traduit dans plus de quarante langues, ce texte émet trois recommandations :

soutenir la diffusion des résultats de la recherche dans l’intérêt de la société ;
 protéger les infrastructures nationales permettant la publication de recherches pertinentes au niveau local ;
 promouvoir la diversité linguistique dans les systèmes d’évaluation et de financement de la recherche.

Ce plaidoyer en faveur d’une plus grande diversité linguistique en science a ensuite été renforcé par les recommandations de l’UNESCO sur une science ouverte (2021) qui indiquent que la science ouverte s’entend comme un concept inclusif qui englobe différents mouvements et pratiques visant à rendre les connaissances scientifiques multilingues, librement accessibles à tous et réutilisables par tous, à renforcer la collaboration scientifique et le partage des informations au profit de la science et de la société. L’UNESCO préconise d’encourager le multilinguisme dans la pratique de la science, dans les publications scientifiques et dans les communications universitaires.

Plus récemment, en septembre 2024, le groupe de travail Recherche et innovation du G20 a également recommandé d’utiliser les langues natales en science, tout en reconnaissant que, si la diversité linguistique en science est unanimement reconnue aujourd’hui comme un principe, elle reste un défi dans sa mise en œuvre et se confronte à la pratique scientifique qui utilise majoritairement, voire presque exclusivement, l’anglais dans certains domaines.

Le multilinguisme en science est aussi l’un des principes soutenus par CoARA, la coalition pour la réforme de l’évaluation de la recherche. Parmi les engagements pris dans le cadre de cet accord, dont l’ANR a été l’un des premiers signataires aux côtés du CNRS et du Hcéres, figure la promotion de la diversité des langues pour l’exercice de la recherche et pour sa communication. Au sein de CoARA, l’ANR est, notamment, impliquée dans le groupe de travail « Multilinguisme et biais de langue dans l’évaluation de la recherche », qui réunit plus de 40 organisations internationales, universités, organismes et agences de financement et a pour objectif de sensibiliser à la valeur du multilinguisme dans la recherche et l’éducation, et fournir aux membres de CoARA et à d’autres institutions des conseils en matière de politique linguistique et des propositions de mise en œuvre pour reconnaître la valeur scientifique et sociale des divers résultats de recherche, quelle que soit la langue de communication.

L’intelligence artificielle, une piste de réponse

Depuis quelques années, notamment grâce aux progrès de l’IA, les avancées en traduction automatique représentent un levier potentiel pour favoriser le multilinguisme et la circulation des savoirs scientifiques par la traduction des publications des chercheurs français, qui est l’un des objectifs du deuxième Plan national pour la science ouverte.

Le Fonds national pour la science ouverte (FNSO) a ainsi financé quatre études exploratoires dans le cadre du projet coordonné par Suzanna Fiorini « Traduction et science ouverte », pour la création d’un service de traduction scientifique collaboratif et outillé. L’ANR avait fourni à cette occasion un corpus de tests de plusieurs milliers de résumés de projets financés français/anglais.

La politique de diversité linguistique mise en place par l’ANR

« Aux côtés d’autres agences de financement, l’ANR mène une réflexion sur la mise en œuvre d’une véritable politique de diversité linguistique », rappelle Claire Giry. 

En illustration de cette réflexion, les deux derniers appels du Belmont Forum « Forêts tropicales » et « Région Afrique » sont des expériences pilotes. Les textes des appels sont disponibles en quatre langues, français, anglais, espagnol et portugais. De même, le dépôt des projets peut se faire dans ces quatre mêmes langues. Le processus d’évaluation prévoit de fournir aux experts-évaluateurs une traduction en anglais et le texte dans la langue originale de dépôt.

Par ailleurs, pour éviter le biais thématique lié à l’usage de l’anglais, l’ANR a choisi de recourir à plusieurs sources de données dans ses études bibliométriques et de ne pas se limiter au Web of science. L’extension des recherches à l’archive nationale HAL et à OpenAlex, catalogue de près de 250 millions de documents scientifiques, a conduit à identifier plusieurs centaines d’articles en français ou dans d’autres langues, issus des projets financés par l’ANR.

L’ANR est également très investie dans le soutien de modèles de publication innovants et pilotés par les communautés de recherche, sans frais pour les auteurs ni les lecteurs, et de l’Alliance mondiale pour l’accès ouvert Diamant, annoncée par l’Unesco le 10 juillet 2024. « Soutenir le modèle Diamant, c’est soutenir la diversité linguistique en science » souligne Claire Giry. En effet, l’existence d’une grande variété de langues dans les revues Diamant a été démontrée, comparativement aux revues avec APC (Article Processing Charges).

Enfin, l’ANR est associée à la préparation d’un appel à projets « Science in your own language » avec d’autres agences européennes dans le cadre de l’Era-net CHIST-ERA, dédié aux verrous technologiques de la traduction automatique de textes scientifiques, qui devrait être publié début 2025.

En savoir plus

Colloque « Une Babel des sciences ? Traductions et sciences ouvertes », organisé le 2 octobre 2024 par l’Académie des sciences. Le colloque a fait l’objet d’une diffusion en direct sur la chaîne YouTube de l’Académie des sciences.

Conférence LT4all « Technologies de la langue pour tous », 24-26 février 2025 à l’Unesco à Paris