Appels ANR Flash et RA-Covid-19 : entretien avec Antoine Gessain, président du comité d’évaluation scientifique
Quelles étaient les spécificités des appels Flash et RA-Covid-19, et des projets attendus ?
Antoine Gessain : En mars 2020 nous avions très peu de connaissances sur le virus SARS-CoV-2, sur son origine, sa physiopathogénie, les mesures de prévention, ou encore les conséquences de la crise en matière de santé publique. Il y avait ainsi un besoin urgent d’acquérir des informations et des données nouvelles dans des domaines scientifiques très variés. Dans ce contexte, l’appel Flash Covid-19 lancé par l’ANR visait à soutenir des projets de recherche multi, trans, et interdisciplinaires d’une durée de 18 mois afin d’apporter rapidement des connaissances en réponse à la crise. Il s’articulait autour de 4 axes : les études épidémiologiques, la physiopathogénie de la maladie et de l’infection virale, les mesures de prévention et de contrôle de l’infection, l’éthique et les Sciences humaines et sociales (SHS). L’appel RA-Covid-19, second appel, soutenait des projets de 3 à 12 mois et couvrait ces 4 axes ainsi qu’un 5e sur les enjeux globaux de l’épidémie tels que les impacts sur les flux d’échanges, de biens et de services, et ce dans une perspective d’application des résultats à court terme.
En quoi consistait votre rôle de président du comité d’évaluation scientifique des deux appels ? Comment l’évaluation des projets a-t-elle été menée dans ce contexte d’urgence sanitaire ?
Antoine Gessain : L’ANR m’a contacté pour présider le comité d’évaluation de l’appel Flash. Le bureau du comité fut très rapidement mis en place, composé de 4 membres dont Hubert Laude, virologue, Laurence Weiss, immunologiste, Jean-Pierre Moatti, économiste de la santé, et moi-même virologue.
En tant que président du comité des deux appels successifs, mon rôle visait à coordonner l’évaluation des propositions reçues afin d’identifier et de classer les meilleurs projets de recherche selon les critères de chaque appel. 259 propositions de projet ont été déposées à l’appel Flash Covid-19 en une quinzaine de jours seulement. Nous avons ainsi effectué au sein du comité une première évaluation dans un délai très court (2 jours) pour permettre à 44 projets sélectionnés de démarrer et/ou de poursuivre immédiatement leurs travaux avec un premier financement. Dans un second temps, chaque proposition éligible déposée à l’appel Flash a été évaluée par deux experts externes spécialistes du domaine concerné et par un binôme de rapporteur/lecteur internes au comité, également spécialistes du domaine. Il n’y a pas eu de quotas prédéfinis pour chacun des axes. Les projets ont été évalués sur la base des critères de l’appel, à savoir l’adéquation du projet aux axes visés, la qualité et les compétences du consortium, et le caractère urgent de la question scientifique posée (pour identifier des découvertes, recueillir des données biologiques, des données épidémiologiques ou sociologiques dans le cadre d’enquêtes en SHS par exemple). 86 projets sur les 259 déposés à l’appel Flash ont été sélectionnés pour financement dès le 10 avril 2020, et 20 projets supplémentaires ont été sélectionnés sur les 40 projets classés en liste complémentaire, permettant le financement de 106 projets au total.
Dans le cadre de l’appel RA-Covid-19, l’évaluation fut menée de façon spécifique, au fil de l’eau, de juin à fin janvier 2021. Le comité se réunissait régulièrement pour évaluer environ 30 à 40 propositions de projet par vague de sélection, sur la base des critères de l’appel. Au total, 614 propositions éligibles ont été déposées à l’appel et évaluées dans le cadre de 17 vagues de sélection. Etant donné la forte mobilisation et la diversité des questions scientifiques proposées, un travail important a été mené par l’ANR pour identifier à la fois des experts externes et des rapporteurs/lecteurs internes qualifiés pour accroître le champ des compétences spécifiques nécessaires à l’évaluation des propositions (biostatisticiens, cliniciens réanimateurs, chercheurs en santé environnement, sociologues, économistes de la santé, etc.). Au final, 128 propositions ont été retenues sur les 614 déposées à l’appel RA-Covid-19.
Le rôle de président de comité nécessitait de veiller à ce que l’évaluation soit réalisée dans le respect des processus définis, selon les critères de l’appel, et de façon équitable. Il était également essentiel de veiller à ce que chaque spécialiste puisse exprimer son avis lors des réunions.
Par ailleurs, l’évaluation des propositions selon le caractère d’urgence du projet ciblant l’acquisition de connaissances avec une application des résultats dans les 3 à 12 mois, critère spécifique au contexte sanitaire, ne fut pas aisée dans la mesure où la recherche nécessite par essence du temps. Enfin, dans une moindre mesure, l’organisation des comités a dû être adaptée aux restrictions de déplacement et de réunions, par la tenue de comités entièrement en ligne.
Quelles sont les principales thématiques des projets financés et les éventuelles premières retombées ?
Antoine Gessain : Les projets financés recouvrent des thématiques très variées : étude de la biologie du virus, de la réaction immunitaire, recherche de molécules antivirales, développement de tests diagnostiques, analyse des pratiques, des comportements ou encore des mesures de gestion de l’épidémie. Concernant la majorité des projets financés, il est encore tôt pour dresser un bilan des résultats en termes de publications, de brevets ou d’application de méthodologies par exemple. Tout d’abord car plusieurs projets de l’appel RA-Covid-19 ont été sélectionnés en fin d’année 2020, voire en début d’année 2021, mais aussi car la publication d’articles dans des revues scientifiques à comité de lecture nécessite un certain temps, bien que les processus aient été accélérés pendant la pandémie. Nous pouvons toutefois illustrer quelques travaux en cours.
Dans le domaine de la génétique, le projet GENCOVID coordonné par Jean-Laurent Casanova (Institut Imagine et Rockfeller University) a mis en place un consortium international afin d’identifier les facteurs génétiques et immunologiques pouvant expliquer la survenue de formes graves de la maladie. Deux articles ont notamment été publiés dans Science en 2020 dont l’un montre la présence, chez plus de 15% des patients sévèrement atteint par la Covid-19, d’un taux élevé dans le sang d’auto-anticorps anti- Interferon de type I (IFN-I) neutralisant l’effet de ces molécules antivirales.
Plusieurs modèles animaux sont également en cours de développement afin d’étudier les mécanismes de l’infection au SARS-CoV-2. Le projet AM-Cov-Path coordonné par Roger Legrand (CEA) a mis au point un modèle macaque infecté par le virus pour l’étude des mécanismes de transmission et de physiopathologie. Le projet RIPCOV coordonné par Marc Dalod (Luminy) propose le développement d’un modèle murin permettant de tracer et de suivre les cellules dendritiques plasmacytoïdes (pDCs) productrices d’INF-I, après infection par le SARS-CoV-2.
Une dizaine de projets retenus travaillent au développement de tests diagnostiques de différents types. Par exemple, les projets W-COVID coordonné par Julius Dewavrin (Withings), COVIDISC porté par Patrick Tabeling (ESPCI Paris) et SALFastCov coordonné par Clémence Richetta (ENS Paris-Saclay) s’appuient sur la technologie LAMP (Loop-mediated isothermal amplification) en vue de faciliter la détection du SARS-CoV-2 dans des prélèvements naso-pharyngés ou de salive des patients sans utiliser un équipement couteux et qui ne nécessitent pas une expertise de biologie moléculaire comme pour les tests PCR.
Dans le domaine de la virologie moléculaire, plusieurs projets sélectionnés visent à une meilleure compréhension du cycle d’infection du virus dans les cellules pour identifier comment bloquer l’entrée du virus ou identifier des cibles thérapeutiques. Par exemple, le projet FISHBP coordonné par Laurent Meertens (Inserm) vise à comprendre les fonctions des facteurs cellulaires qui s’associent à l’ARN génomique de SARS-CoV-2 durant la réplication virale, en combinant des approches globales.
Une vingtaine de projets portent sur la recherche de molécules antivirales, dont certains sur le repositionnement de molécules déjà approuvées afin d’identifier des inhibiteurs de l’infection du SARS-CoV-2 qui pourraient rapidement être utilisés en clinique, tel que le projet ANTI-COV coordonné par Jean Dubuisson (Institut Pasteur), et d’autres sur le développement de stratégies de criblage haut-débit de molécules antivirales actives contre le SARS-CoV-2.
Des travaux de recherche variés sont également menés dans le domaine de la prévention, tel que le projet TELEMASQ coordonné par Bernard Martel (Université de Lille) qui propose d’incorporer au masque une couche supplémentaire de textile filtrante à activité biocide neutralisant le microorganisme.
Parmi les projets d’étude et de modélisation de la dissémination du SARS-CoV-2, certains explorent plus spécifiquement la dissémination dans les environnements côtiers et les eaux usées, tel que le projet EPI-COV coordonné par Marine Combe (IRD), mené en Guyane française. Celui-ci vise à produire des indicateurs épidémiologiques de la circulation du virus, identifier les zones à risque d’émergence, et proposer des modèles simples pour prévoir les futurs pics épidémiques.
De nombreux travaux sont également menés sur les pratiques et les comportements face à l’épidémie et les mesures mises en place, tel que le projet CoCo coordonné par Ettore Recchi (Sciences Po Paris) étudiant la crise sanitaire sous l’angle des inégalités sociales, ou le projet SLAVACO coordonné par Jeremy Ward (CNRS) portant sur le suivi de l’évolution et des déterminants des attitudes de la population française à l’égard du vaccin contre la Covid-19. Les effets de l’épidémie et des mesures de gestion, et l’analyse des politiques publiques sont également au cœur de différents projets sélectionnés.
Enfin, plusieurs projets retenus étudient également l’émergence du risque zoonotique, tel que le projet SO-VIET-BAT coordonné par Alexandre Hassanin (Sorbonne Université) visant à détecter et séquencer de nouveaux génomes de Sarbecovirus chez des chauves-souris du Nord Vietnam pour, entres autres, mieux comprendre les modalités de transmission des virus entre les chauves-souris. Ces recherches sont essentielles afin d’apprécier la biodiversité de ces virus et de mettre en place des dispositions pour prévenir l’apparition de nouvelles épidémies virales d’origine zoonotique.