Apprendre à vivre avec les sargasses
La Mer des Sargasses et ses radeaux d’algues flottants n’est plus celle décrite par Christophe Colomb à la fin du XVème siècle*. Les algues sargasses prolifèrent désormais hors de la mer où elles se sont développées pendant des siècles dans l’Atlantique tropical, pour former, des Caraïbes jusqu’en Afrique de l’Ouest, la Grande ceinture des sargasses de l’Atlantique. Macro-algues hollopélagiques qui flottent et dérivent au gré des courants, les sargasses servent d’habitat en pleine mer pour de nombreuses espèces marines. « Les problèmes surviennent lorsqu’elles échouent le long de ces régions côtières » précise Maurice Héral, référent scientifique à l’ANR sur cette thématique. Leur accumulation et leur décomposition sur les plages et dans les mangroves provoquent alors non seulement le dégagement d’odeurs nauséabondes d’œuf pourri, dues à l’émission, toxique, de sulfure d’hydrogène, mais peuvent également asphyxier les milieux.
Ces échouements massifs sont récents : les premières observations remontent à 2011, année de la bascule. Selon l’hypothèse la plus probable, publiée en 2020 par des chercheurs américains dans la revue Progress in Oceanography, c’est à l’hiver 2010 que des vents d’Ouest inhabituellement forts, associés à un événement anormal de l’oscillation nord-atlantique (ONA), auraient poussé les sargasses vers la l’Europe et l’Afrique. Prises par le courant des Canaries, elles ont amené dans le circuit des courants autour de l’équateur où elles ont trouvé des conditions plus favorables à leur développement que dans la mer des Sargasses historique. Autre hypothèse : l’anthropisation des zones côtières et le charriage de grandes quantités de nutriments qui seraient propices à la prolifération de ces algues. Des chercheurs de l’Université de Floride ont récemment identifié par satellite un radeau de 8000 km de long et 400 km de large entre le golfe du Mexique et l’Afrique, pesant ainsi pour plus de 8 millions de tonnes de Sargasses. Entre décembre et janvier, il aurait doublé de taille ; ce serait la plus importante ceinture observée depuis 2011. Ces sargasses se dirigent actuellement vers les Antilles pour atteindre cet été les plages de Floride.
Quelles sont les espèces en présence ? À quoi tiennent les variabilités saisonnières ?
Comment les prédire ? Des projets de recherche, soutenus par l’ANR lors du premier appel à projets Sargassum initié en 2019, cherchent des réponses. Stockage, prétraitement, valorisation : ils travaillent également à des solutions pour traiter les volumes importants d’algues échouées. « Les sargasses sont difficilement exploitables aujourd’hui : le sel et la présence de métaux lourds, le changement d’échelle, du laboratoire à la filière, sont les principaux verrous pour la valorisation des sargasses. Mais les possibilités sont fortes de pouvoir en faire une ressource demain. » résume Maurice Héral.