Comprendre les liens entre diversité cultivée et sécurité alimentaire
Dans quel contexte et face à quels enjeux a été initié le projet ASSET ?
Le projet ASSET1 s’intéresse aux effets des extrêmes climatiques sur l’agriculture, par nature peu prédictibles, mais qui déstabilisent la production agricole. A l’avenir, ces extrêmes vont devenir à la fois plus fréquents et plus intenses. En 2018, au début du projet, on commençait à mieux comprendre les effets de ces extrêmes sur l’agriculture mais la recherche s’intéressait davantage aux impacts du changement climatique à plus long terme sur le rendement agricole.
ASSET a puisé ses racines dans une première étude publiée dans Nature en 2019. En m’appuyant sur des données statistiques de la FAO, j’avais montré à l’échelle nationale et sur cinq décennies que plus la diversité des plantes cultivées au sein d’un pays est élevée, plus sa production alimentaire est stable dans le temps. Les trois objectifs principaux d’ASSET consistaient à mieux saisir ce qui se jouait derrière ce lien statistique. La problématique visait ainsi à tester si la biodiversité en agriculture, en particulier celle des plantes cultivées, peut aider à stabiliser les rendements agricoles et construire une agriculture plus résiliente face aux extrêmes climatiques.
Comment cela s’est-il traduit concrètement ?
Deux disciplines se trouvaient à l’interface de cette question : l’agroécologie, qui applique l’écologie aux problématiques agricoles et l’ethnoécologie, qui analyse les relations entre les sociétés et leur environnement.
Le projet se consacrait aux épisodes de sécheresse, mais nous avons également travaillé sur la vigne en France, touchée par le gel tardif et la grêle. Nous avons mené quatre terrains : en France, dans le Tarn à Gaillac sur un modèle « vigne » et dans le Trièves (Vercors) sur la diversité des variétés d’orge utilisées pour une filière locale de Wiskey. Au Maroc, nous travaillons sur un modèle « polyculture : oliviers, céréales, légumineuses » et au Sénégal sur un modèle « céréales, légumineuses ».
Quels ont été les objectifs et les méthodologies mobilisées pour les atteindre ? Quels principaux résultats avez-vous obtenus ?
Le premier objectif était de mieux comprendre les mécanismes par lesquels la diversité mène à une production plus stable, à diverses échelles spatiales. La méthodologie reposait sur un axe de modélisation statistique et mathématique basé sur les données de la FAO et des simulations. Nous avons aussi mis en place deux observatoires de terrain pour un suivi à long terme à l’échelle la plus fine, celle du ménage. En effet, des données suivies dans le temps sont indispensables pour mesurer la stabilité, mais celles-ci ne sont jamais collectées sur l’ensemble du panier d’espèces ou variétés cultivées. C’est un manque que nous essayons de combler.
A l’échelle locale, nous effectuons des mesures de productivité sur quatre variétés de vigne dans la région de Gaillac et sur les 6 espèces/17 variétés cultivées sur nos 3 sites au Sénégal. En France, nous réalisons cette année le 4ème collecte de données et la 5ème au Sénégal. Les données de rendement acquises pour chaque espèce/variété nous permettront de tester les liens diversité-stabilité mais aussi d’identifier les combinaisons de plantes favorisant une meilleure stabilité de la production agricole. Nous pourrons répondre à cette question à l’issue de ces collectes2.
Par une approche de modélisation mathématique, nous avons aussi pu comparer les bénéfices de la diversification agricole sur la régulation de deux pathogènes du blé selon différentes pratiques (rotation, mélanges d’espèces/variétés), de la parcelle au paysage et selon différentes conditions climatiques. Un article a été publié dans Landscape Ecology.
Enfin, il s’agissait de mieux décrypter comment et pourquoi les agriculteurs choisissent une diversité de plantes au champ. Au Sénégal, nous avons par exemple constaté que les agriculteurs associent entre elles une grande diversité d’espèces et de variétés dans une même parcelle (37 modalités d’associations différentes) bien que ces associations ne soient a priori pas celles conseillées par les agronomes. Sous un angle ethnoécologique, au travers d’entretiens et d’une analyse de la littérature3, nous avons cherché à comprendre ce qui motive les agriculteurs dans ces associations et comment ceux-ci mobilisent les savoirs locaux pour faire face aux contraintes du climat. Plus largement, nous nous intéressons aux valeurs socio-culturelles, esthétiques, médicinales, gustatives, agronomiques, et écologiques associées à la diversité de ces plantes. Toutes ces valeurs coexistent et ne sont aucunement dissociées dans l’esprit des agriculteurs.
Sur le plan agroécologique, comment expliquer l’action de l’agrobiodiversité dans la stabilité de la production agricole alimentaire ?
Notre hypothèse repose sur un mécanisme assez simple, dit « d’assurance » vis-à-vis de l’imprédictibilité de ces événements extrêmes. En termes simples, il s’agirait d’un phénomène proche de l’adage « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Semer une diversité de plantes qui ont des réponses différentes à divers événements climatiques ou qui sont plus ou moins sensibles à des stress ravageurs ou des maladies peut sécuriser le fait de récolter quelque chose par un effet de compensation. Selon les années et les aléas, une espèce prospérera davantage par rapport à une autre et une « stabilité moyenne » de la production globale sera maintenue dans le temps. Nos résultats montrent que ce processus est en jeu, notamment à l’échelle nationale, et peut être complémentaire à l’effet stabilisateur de l’irrigation notamment utilisée pour les grandes cultures.
Quelles sont les prochaines étapes du projet et de vos recherches ?
J’aimerais beaucoup poursuivre ces recherches de façon à favoriser ces observatoires de terrain dans d’autres systèmes agricoles, dans d’autres pays, sur de longues périodes de temps, toujours dans une dynamique interdisciplinaire. Il serait toujours question d’étudier la résilience mais en intégrant d’autres dimensions. J’aimerais notamment comprendre comment l’agrobiodiversité peut bénéficier, ou rentrer en conflits à d’autres niveaux : écologique, économique, socio-culturel, dans d’autres systèmes.
Quel rôle peut jouer la transdisciplinarité dans les recherches sur le développement durable ?
La transdisciplinarité est à mon sens l’unique voie vers l’avènement de solutions durables. Associer savoirs locaux et scientifiques permettra en outre d’imager, ensemble avec les acteurs qu’ils soient agriculteurs ou politiques, des solutions efficaces, acceptables et applicables pour les agriculteurs.