Conception de biocapteurs : le Grand Prix scientifique franco-taïwanais 2022 est décerné à Olivier Soppera et Hsiao-Wen Zan
Quel est le point de départ de votre collaboration avec Hsiao Wen Zan ?
Olivier Soppera : Cette collaboration est née d’une rencontre fortuite lors d’une visite de l’université au sein de laquelle travaille Hsiao-Wen Zan, à Hsinchu, ville qui abrite le plus important site de l’industrie électronique de Taïwan. A cette occasion, nous avons rapidement identifié les complémentarités de nos recherches. Après plusieurs discussions, nous avons initié une collaboration grâce à des programmes d’échange d’étudiants entre nos laboratoires, puis renforcé ce partenariat à travers deux projets ANR de recherche collaborative international (PRCI)1, PHOTOMOC (2014-2018) et NIRTRONIC (2019-2023). Le soutien de l’ANR a été fondamental car il nous a permis de recruter des étudiants dédiés à 100% sur ces recherches, notamment dans le cadre de thèses en cotutelle.
Pour quels objectifs ?
Olivier Soppera : La fabrication des (bio)capteurs commercialisés est généralement basée sur des procédés nécessitant des grandes infrastructures. Dans le cadre de cette collaboration, nous développons des procédés de fabrication alternatifs plus simples. Ces procédés permettront potentiellement à des fabricants d’objets connectés n’ayant pas ce background en microélectronique d’être indépendants dans l’intégration de capteurs sur leurs objets, tout en réduisant les coûts de fabrication.
Nos recherches visent également à intégrer ces capteurs sur des substrats ou des objets tels que des plastiques, des pièces imprimées en 3D ou des textiles. Ces supports représentent un intérêt face au besoin de capteurs miniaturisés utilisables pour le suivi médical non invasif de patients, et de personnes en bonne santé.
Pour y parvenir, nous nous appuyons sur la complémentarité de nos expertises. L’équipe taïwanaise est spécialisée dans la conception et le test de capteurs, notamment des capteurs de gaz, et a mis en place des collaborations avec des hôpitaux pour valider ces approches sur patients. De notre côté, nous sommes en amont de ces applications, spécialisés dans le développement de matériaux et leur mise en forme par traitement laser.
En quoi consiste ces procédés alternatifs ?
Olivier Soppera : Concrètement, l’objectif est de concevoir un film mince d’oxyde métallique avec des propriétés semi-conductrices et ce sont ces propriétés que l’on souhaite utiliser comme cœur du capteur. En général, ces matériaux sont préparés par des méthodes qui nécessitent des équipements importants. Dans le cadre de nos recherches, nous remplaçons ces méthodes par des préparations de solutions sur la base de composés commerciaux. Ces solutions permettent le dépôt sous forme de film mince par différents procédés (spin-coating, dip-coating, spray-coating) en fonction des substrats que l’on souhaite utiliser. Après le dépôt, un traitement thermique à des températures de plusieurs centaines de degrés pendant une à deux heures est nécessaire dans le procédé sol-gel classique. Dans notre approche le laser vient remplacer le four, offrant ainsi un traitement plus rapide (quelques fractions de seconde pour certaines applications) moins énergivore, et surtout localisé ce qui permet de ne pas endommager le substrat. La partie active est ensuite connectée à un système électronique et le capteur est validé dans le cadre de l’application visée, pour détecter des gaz par exemple, c’est la partie effectuée par Hsiao Wen Zan et ses collègues.
Quels dispositifs avez-vous conçus ?
Olivier Soppera : Dans le cadre du premier projet ANR, nous avons montré qu’en utilisant une technologie laser UV profond (193 nm), nous pouvons conférer des propriétés électroniques à des matériaux tout en restant à une température ambiante. Ces recherches amont ont pu être valorisées par la fabrication de dispositifs électroniques tels que des capteurs de gaz. Toutefois nous avons identifié une certaine limite, à savoir le nécessaire traitement à température modérée à l’issue de l’étape par traitement laser.
Dans le second projet ANR, nous avons ainsi opté vers des radiations dans l’infrarouge, de l’autre côté du spectre lumineux. En modifiant le matériau avec différentes approches, en incorporant soit des colorants organiques ou des nanoparticules métalliques par exemple, nous avons pu démontrer que le laser permet de chauffer très localement le matériau, sans modifier les propriétés du substrat. Nous avons élaboré des photodétecteurs et des capteurs de contrainte par exemple sur des substrats plastiques préparés par impression 3D ou des nanocomposites fibres de carbone.
Nous avons notamment mis au point un capteur sur substrat plastique flexible permettant de détecter le sulfure d’hydrogène (H2S). Ces résultats ouvrent la voie vers la préparation de capteur de ce gaz toxique sur des vêtements par exemple, pour détecter des atmosphères dangereuses. Nous travaillons aussi à la mise au point d’un dispositif de mesure de l’urée dans la salive, un biomarqueur clé. En utilisant notre procédé, nous intégrons la capteur sur un petit dispositif fabriqué par impression 3D, ce qui permet d’imaginer à terme, des capteurs pouvant être utilisés comme outils de dépistage ou de suivi des maladies rénales.
Quelle sera la suite de cette collaboration ?
Olivier Soppera : Notre collaboration reste active, nous souhaitons poursuivre nos travaux sur l’étude de l’interaction lumière-matière, et développer de nouvelles approches originales comme des approches dites thermoplasmoniques, permettant de générer de la chaleur par absorption de la lumière par des nanostructures métalliques. Nous souhaitons également explorer l’intégration de dispositifs sur d’autres supports tels que des textiles ou sur des plastiques souples.