Dans les oasis, recycler les résidus de palmiers dattiers pour améliorer la fertilité des sols

Dans quel contexte et face à quels enjeux avez-vous initié le projet ISFERALDA ?

Xavier Morvan : Il y a tout d’abord un contexte socio-économique. Dans les zones semi-arides et arides, et dans les oasis plus particulièrement, les exploitations agricoles de palmiers dattiers sont le plus souvent de petites propriétés d’à peine quelques hectares qui doivent donc être très productives pour être rentables. Mais bien que traditionnellement intensive, elle est toujours restée une agriculture de subsistance avec de faibles intrants et une mécanisation très basse. Les écosystèmes de ces agrosystèmes sont aussi affectés par de nombreux facteurs qui menacent leur durabilité : l’absence d’eau de surface, la salinisation des sols et des eaux souterraines, la faible fertilité des sols, l’utilisation excessive des sols sans restitution ou rotation significative, et surtout le changement climatique qui peut accélérer les invasions de parasites et l’émergence de maladies, et réduire la disponibilité de l’eau. La production de palmiers dattiers génère enfin une grande quantité de déchets agricoles – chaque arbre donne environ dix palmes par an – qui est encore très peu valorisée actuellement mais pourrait représenter une ressource renouvelable, durable et locale importante.

Justement, du déchet à la ressource, comment valoriser ces résidus agricoles ?

En suivant les principes de l’économie circulaire. Nous souhaitons étudier la conversion des résidus de palmiers dattiers locaux en sources de matière organique pour amender les sols peu fertiles. Pour ce faire, nous avons fortement impliqué les agriculteurs locaux afin de développer des méthodes artisanales de compostage et de pyrolyse des résidus de palmiers dattiers. La pyrolyse consiste à faire brûler de la biomasse, ici des palmes, à haute température et en l’absence d’oxygène, pour la réduire en biochar. L’application de ces amendements permettront d’améliorer la fertilité et les propriétés du sol, telles que la rétention d’eau, d’une part, et devra assurer des revenus comparables ou supérieurs aux agriculteurs locaux, d’autre part.

Quels résultats avez-vous déjà obtenu ?

Le projet a débuté en 2021. A ce jour, il reste donc de nombreuses expériences à venir ou en cours, en laboratoire ou en plein champ, et les résultats que nous avons obtenus sont encore partiels. Nous pouvons cependant citer l’analyse des entrevues avec les agriculteurs. Elle a montré que, même si peu d’agriculteurs utilisent actuellement du compost ou du biochar de palmier dattier, environ deux tiers d’entre eux sont prêts à utiliser du compost fabriqué à partir de résidus de palmiers dattiers, à condition que le produit soit disponible en quantité, en qualité, de manière permanente et à des prix raisonnables sur les marchés locaux. L’autre tiers des agriculteurs est pour l’instant réticent à utiliser ces produits mais ils sont prêts à revenir sur leur jugement si les résultats obtenus sont satisfaisants. Un autre résultat est l’augmentation de la rétention en eau des sols lorsqu’on y ajoute des amendements organiques. Cette augmentation est d’autant plus forte que les sols sont sableux. Par exemple, l’ajout de 3 % de biochar dans un sol avec 85 % de sable permet d’augmenter la réserve utile du sol de 78 % par rapport au sol sans amendement.

Comment avez-vous porté les résultats du projet au plus près des parties prenantes ?

Nous avons mené de nombreuses actions de communication – auprès des agriculteurs, des producteurs de palmiers dattiers, des conseillers agricoles, des décideurs politiques et de la population locale en général – par l’intermédiaire d’un site internet, de messages sur les réseaux sociaux et ou encore de conférences scientifiques dans des congrès nationaux et internationaux afin que chacun puisse se saisir des résultats du projet. Dans les parcelles agricoles, nous avons aussi organisé des journées de démonstration, et des journées portes ouvertes dans les instituts de recherche ou encore dans la compagnie partenaire du projet. L’objectif était de connaître le ressenti des personnes proches de la réalité du terrain. L’avis des agriculteurs est aussi pris en compte pour réorienter le processus d’innovation du projet. Ils sont d’ailleurs impliqués dans l’ensemble du processus, depuis la préparation et le maintien de la qualité du sol jusqu’à la récolte des cultures.

En quoi la transdisciplinarité, des sciences humaines aux sciences de la vie, est fondamentale pour répondre à votre problématique ?

Chaque partenaire du consortium du projet ISFERALDA est indispensable à la réalisation des objectifs. Ce projet est transdisciplinaire car il traite des questions socio-économiques et scientifiques. L’aspect socio-économique, basé sur les enquêtes et les analyses coûts/bénéfices, est essentielle pour les agriculteurs car il permet d’une part d’identifier les problèmes qu’ils rencontrent et les solutions qu’ils apportent actuellement, et d’autre part, de déterminer l’intérêt économique de la production et de l’utilisation de l’amendement organique étudié. Les questions scientifiques sont également essentielles car elles permettent, à partir de résultats significatifs statistiquement, d’obtenir des informations fiables et rigoureuses qu’on peut transmettre et diffuser auprès des parties prenantes. Les domaines scientifiques et les compétences associées sont variés : l’étude de la matière organique du sol, la réalisation et la caractérisation d’amendements organiques (compost et biochar), la physique, la chimie et la microbiologie des sols, l’agronomie, la physiologie des plantes… C’est la combinaison de ces aspects socio-économiques et scientifiques qui permettra de connaitre les besoins des agriculteurs, d’évaluer l’intérêt économiques des pratiques agricoles proposées et de diffuser des résultats scientifiques fiables et rigoureux en lien avec les besoins des parties prenantes.

 

Le consortium du projet ISFERALDA rassemble six instituts de recherche, un institut technique et une entreprise : URCA – GEGENAA Université de Reims Champagne Ardenne – Groupe d’Etude des Géomatériaux et Environnements Naturels, Anthropiques et Archéologiques ; UMKB-university Mohamed Khider of Biskra ; IRA Arid Regions Institute of Medenine (IRESA) – University of Gabès ; HAO-DEMETER Hellenic Agricultural Organization – DEMETER ; INRAA National Institute of Algerian agronomic research ; Université de Batna Hadj Lakhder ; ITDAS Technological Institute for the development of the Saharan Agriculture ; Palm Compost.