De nouveaux regards sur les perturbateurs endocriniens

Cosmétiques, détergents, médicaments ou encore ustensiles de cuisine, les perturbateurs endocriniens sont largement présents dans de nombreux objets et produits du quotidien. Ils le sont aussi dans l’environnement où les milieux, aériens, aquatiques comme terrestres, peuvent être contaminés par ces substances chimiques qui se cumulent, s’accumulent, et persistent dans le temps. La recherche s’interroge sur leurs interactions continues avec les organismes vivants. Elle traque les moindres traces de substances connues ou moins à l’aide de nouveaux outils, molécule par molécule. Elle tente d’identifier leurs effets, encore mal connus et complexes à établir, chez l’humain (troubles de la fertilité, cancers hormonodépendants ou autisme) comme pour la faune (impacts sur la reproduction, phénomène d’imposex – lorsque les femelles gastéropodes développent des caractéristiques sexuelles mâles -, d’intersex, etc.). Grâce à aux résultats obtenus, elle permet ainsi de fournir des éléments nécessaires à la réglementation, et d’agir ainsi pour protéger les populations et pour préserver les écosystèmes.

L’exposome ou comment marquer le lien entre santé et environnement

Après une première journée d’échanges qui s’était tenue sur cette même problématique en 2019, la journée du 13 juin a permis de revenir sur les dernières avancées de la recherche. Pour Benoit Vallet, Directeur général de l’Anses : « La question de la recherche est et restera vraisemblablement très présente dans les orientations stratégiques portées par la puissance publique. Il reste beaucoup à apprendre sur les mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens, les impacts sur la santé humaine et sur les écosystèmes, les effets cumulés dans une approche exposome. ». La notion d’exposome, revenue à plusieurs reprises dans la journée, propose d’explorer les liens entre santé et environnement. L’exposome – un pendant au « tout génétique » – est vu comme l’ensemble des expositions environnementales auxquels les organismes sont soumis au cours de la vie, même au cours de la période prénatale. Thierry Damerval, PDG de l’ANR, estime de son côté que : « L’exploration scientifique des perturbateurs endocriniens et la prévention de leur présence et de leurs effets représentent un enjeu majeur. Les projets financés par l’Anses et l’ANR et l’ensemble des travaux de recherche sont essentiels pour comprendre l’ampleur et la nocivité de ces substances chimiques, afin de mieux protéger la santé des citoyens et des générations futures et préserver les écosystèmes. ». Il est essentiel, a-t-il précisé, d’avoir ces lieux d’échanges où la recherche peut faire le point, partager des connaissances et poser de nouvelles questions. L’objectif : associer et ouvrir ces réflexions à toutes les parties prenantes.

Perturbateurs endocriniens : une problématique à élargir à l’ensemble de la communication biologique

Lors de sa conférence introductive, le Dr Robert Barouki, Professeur à l’Université Paris-Cité et Directeur de l’Institut thématique santé publique de l’Inserm, est revenu sur l’impératif pour la recherche de réfléchir aux impacts sociétaux et à la responsabilité sociale du monde scientifique. « Les perturbateurs endocriniens sont un bon exemple entre toxicologie mécanistique et des impacts réglementaires majeurs » a-t-il ajouté. Pour le médecin et chercheur, la communication biologique au sens large englobe plus que les seules hormones : « la perturbation endocrinienne est avant tout une perturbation de la communication biologique. D’autres champs peuvent aussi perturber cette communication biologique : les systèmes nerveux et immunitaire, le développement cellulaire, les régulations métaboliques, ou encore les interactions microbiote – hôte. Il existe ainsi d’autres voies de toxicité, d’autres médiateurs ». Pour lui, ces perturbateurs de la communication biologique, neurotoxiques et immunotoxiques, devraient être traités avec autant de précaution que les PE. Au-delà de ces derniers, il a ainsi appelé à une généralisation de ces problématiques.

Epigénétique : des impacts sur la santé des écosystèmes et la biodiversité avérés

La première session était consacrée aux impacts des PE sur les écosystèmes. Pour exemple, le projet Season Disruptor, porté par Valérie Simonneaux, chercheuse CNRS à l’Institut des Neurosciences de Strasbourg. La chercheuse et son équipe ont étudié les effets de perturbateurs endocriniens thyroïdiens sur la régulation saisonnière des fonctions biologiques chez le hamster sibérien – le petit rongeur adapte son métabolisme et sa reproduction au rythme des saisons et donc de la durée du jour. L’exposition au Bisphénol A pendant l’âge adulte altère la dynamique des adaptations reproductives et métaboliques des hamsters aux changements saisonniers avec des différences selon le sexe et la dose d’exposition. De plus, l’exposition au BPA pendant la période périnatale modifie la croissance des petits et leur réponse physiologique aux saisons. Dans le cadre du projet Candyfrog, Stéphane Reynaud, professeur et directeur du laboratoire d’écologie alpine, s’est intéressé au modèle xénope (une espèce d’amphibiens) comme alternative aux modèles rongeurs. Ils ont exposé les xénopes à des PE – le benzo[a]pyrène et le triclosan, seuls ou en mélange – se basant sur les concentrations réglementaires à ne pas dépasser dans les boissons. En surveillant les niveaux de glycémie et le cholestérol, ils ont identifié chez l’animal une incapacité à réguler le glucose (du diabète) à l’âge adulte. Des effets qui persistent jusqu’à deux générations, avec une mortalité accrue des têtards, un âge à la métamorphose et une maturité sexuelle retardés, et une résistance à l’insuline – des variations selon le PE. Cette transmission générationnelle indique donc un effet épigénétique. Les échanges autour de cette session ont insisté sur le risque que font peser les PE sur la faune, encore méconnus. Parmi eux, un risque majeur sur leur capacité de reproduction.

De nouveaux outils pour mieux détecter les PE

A travers l’exposome, il s’agit pour les chercheurs de parvenir à identifier les centaines voire les milliers de substances auxquelles nous sommes exposés au quotidien mais aussi de comprendre l’interaction de ces substances entre elles sur le temps long. Pour cette deuxième session, les projets présentés ont permis de mettre en avant de nouveaux outils et de nouvelles approches pour détecter et mesurer l’exposition à ces substances et ces effets.

A l’image du projet PRECEPT (Développement d’un modèle pharmacocinétique à base physiologique pour évaluer l’exposition des femmes enceintes aux dérivés chlorés du bisphénol A (Clx-BPA)), présenté par Nicolas Venisse, pharmacien biologiste du CHU de Poitiers. Les dérivés chlorés du bisphénol A (ClxBPA) sont formés essentiellement à partir du bisphénol A présent dans la ressource hydrique lors des étapes de désinfection de l’eau par le chlore. Ils sont essentiellement détectés dans les milieux aquatiques tels que les eaux usées, les eaux des stations de traitement d’eau, les canalisations de distribution d’eau potable et même l’eau du robinet. Des études épidémiologiques ont mis en évidence des relations entre l’exposition de ces dérivés et la survenue de diabète, l’obésité et l’infarctus du myocarde. L’objectif de ce projet PRECEPT était ainsi d’étudier le devenir des de ces dérivés dans l’organisme et de développer un modèle pharmacocinétique à base physiologique (PBPK), modèle permettant de décrire l’évolution des concentrations en fonction du temps dans différents organes et compartiments de l’organisme.

Le projet FLUOVIAL (Détection et quantification de polluants fluorés par RMN du fluor), porté par Marc-André Delsuc, de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, de l’Université de Strasbourg, s’est penché sur les polluants per-fluorés (PFAS). Les PFAS – polluants éternels – car particulièrement stables et difficiles à dégrader sont devenus une préoccupation majeure pour le public du fait de leur toxicité et leur accumulation dans l’environnement. L’analyse classique pour leur détection ne cible qu’un petit nombre de polluants, alors que l’on en compte plusieurs dizaines de milliers dans les produits manufacturés. Ce projet propose une nouvelle approche non ciblée permettant une mesure complète. Une première étude pilote a dévoilé l’envergure de cette face cachée de la pollution.

Une réglementation européenne en cohérence avec les connaissances scientifiques actuelles

Cécile Michel-Caillet, (responsable à l’Anses de l’unité chargée de la mise en œuvre de la stratégie française sur les perturbateurs endocriniens et des règlements européens REACH, CLP – pour Classification, Labelling Packaging en anglais et en français : classification, étiquetage et emballage – et Cosmétiques pour la France), a insisté sur le rôle de l’Anses faisant un lien essentiel entre la recherche et la réglementation dans le but d’identifier les limites et les besoins réglementaires. Elle est revenue sur l’une des premières substances chimiques identifiées, le Bisphénol A. L’interdiction de ce PE à l’échelle européenne (depuis septembre 2018 dans les biberons en plastique et les emballages contenant des aliments pour bébés et pour enfants de moins de trois ans et dans les reçus en papier thermique depuis janvier 2020) aurait eu un impact positif, observé par une baisse du BPA dans l’urine des européens. Pour agir, a-t-elle ajouté, la recherche a besoin de (plus de) données et de modèles, mais aussi de temps pour gérer l’incertitude liée au manque de données. « Une substance dont on ne teste pas les propriétés de danger, n’est pas dangereuse » a-t-elle alerté. Pour elle, il est impossible d’être exhaustif aujourd’hui : les tests se déroulent sur des durées courtes, sur un petit nombre d’animaux, et pas toujours sur de faibles doses. Il reste encore à explorer les effets sur le métabolisme, leur neurotoxicité et leur immunotoxicité. La plateforme PEPPER (plateforme public-privé pour la pré-validation de méthodes de caractérisation des PE), lancée en 2020, a-t-elle cité comme exemple, vise ainsi à tester des méthodes d’essai et ainsi créer de la donnée.

A sa suite, insistant lui aussi sur le lien entre recherche et expertise en appui aux politiques publiques, François Brion de l’INERIS est revenu sur l’adoption d’une ligne directrice pour caractériser les PE par l’OCDE reposant sur un test biologique original, le test EASZY. Fruit de dix ans de travaux de recherche académiques qui ont notamment bénéficié de trois projets financés par l’ANR (projets NEED, PROOFS, FEATS), ce test permet désormais de caractériser le danger des substances vis-à-vis du système endocrinien des organismes à partir d’un modèle de vertébré aquatique.

De nouveaux regards sur les perturbateurs endocriniens

Les effets des antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) étaient au cœur de deux projets de recherche présentés. Dans le cadre du projet RESEDCHrepro, (Impact des résidus d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et d’hormones dans les eaux destinées à la consommation humaine sur la fonction de reproduction et la fertilité), présenté par Brigitte Boizet-Bonhoure, les chercheurs ont avancé une hypothèse : la baisse de la fertilité observée – déclin mondial et qui s’accélère – pourrait avoir des liens avec une exposition environnementale. Largement utilisé par les français (c’est le premier des antalgiques), l’ibuprofène, en inhibant la prostaglandine, pourrait ainsi impacter la reproduction. L’exposition chronique à des doses environnementales d’ibuprofène perturbe la puberté et la maturation des organes reproducteurs, et génère des lésions d’adénomyose de l’utérus. In fine, la fertilité des animaux mâles et femelles exposés et celle de leur descendance affectée – impact intergénérationnel.

Dans le cadre du projet ACETAMINOV (Antalgiques et différenciation ovarienne fœtale chez l’Homme), porté par Séverine Mazaud-Guittot, Irset, les chercheurs ont montré que l’ibuprofène est toxique pour les cellules ovariennes à des concentrations biologiquement pertinentes (que l’on retrouve dans l’eau de boisson par exemple) dès deux jours d’exposition et altère la fonction endocrine de l’ovaire fœtal humain. Cet effet tératogène est susceptible de provoquer des malformations chez l’embryon lors de son développement in-utero. Ces résultats posent des interrogations alors que la femme enceinte peut être exposée à ces substances : l’ibuprofène n’est interdit qu’après cinq mois de grossesse – et c’est au cours de ces premiers mois que se développent les organes reproducteurs. Les chercheurs invitent ainsi au principe de précaution.

La question des mélanges

Le grand témoin de la journée était Rémy Slama, Directeur de recherche à l’Inserm, épidémiologiste environnemental, spécialiste des effets sanitaires de l’exposome, des polluants atmosphériques et des perturbateurs endocriniens. Depuis le printemps 2024, il a rejoint l’Institut de Biologie de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm pour développer une structure de recherche à l’interface entre changement climatique et santé, le PARSEC (Paris Recherche Santé Environnement Climat). Rémy Slama a largement insisté sur l’intérêt d’étudier les effets des mélanges de PE car les réglementations actuelles encadrent substance par substance. « Sinon, comment savoir si elles entrainent des effets additifs ou synergétiques ? » a-t-il précisé.

La journée s’est achevée avec l’annonce du lancement du PEPR Exposome, qui s’inscrira dans une dynamique One health – une discipline unique ne pourra pas seule résoudre le problème ; et celle du lancement prochain de la troisième Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens par Olivier Laboux, de l’Inspection générale des affaires sociale. En conclusion, Laetitia Dubois (Anses) et Catherine Mouneyrac, responsable scientifique à l’ANR, ont rappelé l’importance (et la nécessité) de poursuivre le travail engagé entre l’Anses et l’ANR. A ce jour, 65 projets communs sur la question des perturbateurs endocriniens sont en cours – 1/3 des projets concernant l’impact des PE sur la faune, la moitié sur l’humain, le reste sur leurs effets possibles sur la santé mentale et, sujet émergent, sur la santé gynécologique. Ce travail de recherche répond à un vrai besoin de connaissances sur des PE avérés ou encore suspectés, comme les NIAS, des additifs contenus dans les plastiques. Pour Catherine Mouneyrac, il reste cependant encore beaucoup à apprendre et des efforts à poursuivre, dans la durée, afin d’améliorer nos connaissances sur la problématique des mélanges, de parfaire la réglementation, et de répondre au besoin de communiquer davantage sur les résultats de la recherche.

En savoir plus

Le colloque Anses-ANR sur les perturbateurs endocriniens

Le dossier du participant

Perturbateurs endocriniens : les nouveaux défis de la recherche