Des lipides polaires issus du lait aux effets potentiellement bénéfiques pour réduire le risque cardiovasculaire : vers une meilleure valorisation du babeurre
Des lipides polaires de différentes sources tels que les lécithines de soja et d’œuf, riches en phospholipides, sont largement utilisés comme émulsifiants et texturants dans l’industrie alimentaire. En revanche les lipides polaires issus du lait, présents sous forme de membrane des globules gras du lait, qui contiennent de surcroît des sphingolipides (lipides bioactifs d’intérêt), sont peu utilisés. Le babeurre et le sérum de beurre représentent des sources intéressantes à valoriser en raison de leur forte teneur en lipides polaires laitiers (respectivement 1,2 g/L et 9 g/L environ). Cependant, les teneurs obtenues dans les ingrédients en poudre par les procédés classiques de concentration sont aujourd’hui inférieures à 20% et les alternatives pour produire des fractions fortement enrichies en lipides polaires ont généralement recours à l’addition de produits chimiques et/ou à l’extraction aux solvants.
De la valorisation d’un coproduit en ingrédients enrichis en lipides polaires laitiers…
Dans le cadre du projet ANR VALOBAB, une équipe de recherche pluridisciplinaire a analysé finement la composition en lipides polaires de babeurres et de sérums de beurre, montrant leur teneur concentrée en une grande variété d’espèces moléculaires de sphingomyéline et autres sphingolipides (Bourlieu et al., 2018). Un procédé technologique basé sur des opérations de séparation par membranes a été développé et transféré avec succès à une échelle semi-industrielle, pour produire un ingrédient fortement enrichi en lipides polaires laitiers (plus de 30%) à partir du sérum de beurre (Gassi et al., 2016). Les scientifiques ont également proposé plusieurs conditions opératoires de l’étape de coagulation afin de valoriser les co-fractions.
… A l’évaluation de leurs propriétés fonctionnelles dans les aliments
Ces ingrédients enrichis présentent-ils alors des propriétés intéressantes pour l’alimentation (texture, propriétés sensorielles, etc.) au regard d’autres ingrédients ? Pour évaluer leur intérêt fonctionnel dans les aliments, des tests de capacités moussantes et d’émulsification ont notamment été menés à travers différents produits. Les ingrédients obtenus ont démontré d’excellentes capacités émulsifiantes (Lopez et al. 2017). De plus, les chercheurs ont validé leur capacité d’utilisation dans du beurre allégé, avec de meilleures performances qu’avec l’émulsifiant classique à base de mono- et diglycérides d’acides gras (Revue Laitière Française, 2017), et des fromages à tartiner.
Quels sont les effets d’une consommation d’aliments enrichis en lipides polaires laitiers ?
Les chercheurs du projet ont également étudié les effets des lipides polaires laitiers sur le métabolisme lipidique et le microbiote intestinal chez l’humain, dans un contexte de prévention des maladies métaboliques d’origine nutritionnelle. Une étude clinique a été menée auprès de 58 femmes ménopausées et en surpoids, une population à risque cardiométabolique élevé. Les scientifiques ont étudié l’impact d’une consommation quotidienne pendant 28 jours de fromages à tartiner à 13% de matière grasse, soit non enrichis (contrôle), soit enrichis en lipides polaires laitiers à une teneur de 3g ou 5g. Il s’agit de doses très supérieures à la teneur naturelle en lipides polaires de fromages à tartiner classiques, qui contiennent environ 100 à 500 mg pour 100g d’un produit à 13% de matière grasse le restant étant constitué de triglycérides principalement. Une réduction significative des taux de cholestérol LDL, de triglycérides et d’autres indicateurs importants de perturbations métaboliques a été observée dans ces travaux publiés dans la revue Gut en mars 2020.
Ils ont également étudié chez ces mêmes volontaires, l’impact de cette intervention à base de lipides polaires laitiers sur les concentrations de certains types de sphingomyélines et céramides dans le sang : de nouveaux marqueurs importants du risque cardiovasculaire. Une diminution des espèces pro-athérogènes des sphingomyélines et céramides a été observée, qui était même corrélée à la diminution du cholestérol. Ces travaux sont publiés dans la revue JCI Insight du 24 mai 2021.
Ces recherches contribuent à une meilleure connaissance et à une maîtrise accrue des propriétés des lipides polaires laitiers dans les aliments. Ces travaux permettent aussi de valoriser les atouts nutritionnels du babeurre et des sérums de beurre, en offrant des possibilités de diversification des ingrédients fonctionnels utilisés dans les aliments par une alternative d’origine naturelle à d’autres additifs émulsifiants.