Des pistes innovantes pour la protection des cultures sans pesticides : le programme Ecophyto Maturation
Dans quel contexte le programme Ecophyto Maturation est-il né ?
Xavier Reboud : Dans le cadre du plan Ecophyto, les agriculteurs doivent diminuer de 50% leurs usages de produits phytosanitaires cependant le portefeuille d’alternatives n’est pas suffisant, il faut donc l’élargir. De plus, un certain nombre d’équipes de recherche disposent d’une preuve de concept et/ou d’un résultat intéressant en fin de projet mais n’ont pas les moyens de poursuivre leurs travaux. C’est particulièrement observable pour les projets financés via les appels Ecophyto. Le lancement d’un appel spécifique pour permettre aux équipes de poursuivre leurs recherches en vue de développer une solution opérationnelle, revêtait ainsi un fort intérêt.
Florence Jacquet : Dans le processus de création d’une innovation destinée à la résolution d’un problème concret, on sait qu’il existe une étape difficile, celle du passage entre des résultats de recherche obtenus dans les laboratoires publics et leur reprise par le secteur privé. Sur une échelle mesurant le degré de maturité d’une innovation, l’échelle TRL, il s’agit de passer d’un TRL 4 (validation en laboratoire) à un TRL 6 (démonstration en situation réelle). Le programme Ecophyto Maturation est né de ce constat et s’inscrit dans le cadre d’une collaboration entre l’ANR et le plan Ecophyto instaurée à partir de 2014. Cette collaboration a permis de cofinancer des projets déposés à l’Appel à projets générique (AAPG) de l’ANR et visant les objectifs du Plan Ecophyto, puis de lancer un Challenge dans le domaine des alternatives au désherbage chimique : le Challenge ROSE – robotique et capteurs au service d’Ecophyto.
Comment peut-il aider à passer ce gap entre les résultats obtenus en labo et le développement d’une solution opérationnelle ?
Xavier Reboud : Le programme Ecophyto Maturation est réservé à des consortia impliquant un partenariat public-privé complémentaire pour accompagner la maturation de résultats scientifiques probants. Il associe d’un côté des équipes de recherche ayant la connaissance et la maîtrise de la preuve de concept, et de l’autre, des partenaires socio-économiques souhaitant développer une activité. Les projets sont orientés vers le développement d’un dispositif plus opérationnel ce qui implique une réflexion en amont sur les conditions de déploiement du produit, en lien avec les besoins des utilisateurs finaux.
Florence Jacquet : Aider à passer ce « gap » entre les TRL 4 et 6 qui est qualifié, par les acteurs du financement de l’innovation, de « vallée de la mort » est l’objectif des programmes Maturation de l’ANR. Ils permettent d’encourager des projets rassemblant laboratoires publics et partenaires privés (entreprises, associations de producteurs, etc.) avec cet objectif de montée en TRL. Le fait de se baser sur des connaissances scientifiques originales déjà démontrées en laboratoires est la condition nécessaire pour pouvoir espérer de ces projets des innovations véritablement en rupture.
Quelles sont les thématiques soutenues par le programme ?
Xavier Reboud : Nous avons orienté le premier appel sur deux thématiques pour lesquelles les laboratoires ont une forme de maîtrise : l’aide à la décision et le biocontrôle, et qui nécessitaient des marges de progrès pour développer des applications concrètes. Les scientifiques connaissent bien les ravageurs des plantes (champignons, bactéries, virus, etc.) sur lesquels ils travaillent mais n’ont pas transformé ce savoir sous la forme d’une prévision des risques à travers un outil d’aide à la décision permettant à un acteur d’accéder à des informations utiles et de gérer le risque particulier lié à un pathogène.
De la même manière, les laboratoires ont une bonne connaissance des ravageurs et de leurs ennemis naturels, toutefois ils n’ont pas développé de solutions de biocontrôle qui puissent être déployées dans des systèmes à grande échelle par les industriels et dans lesquels on pourrait effectuer des lâchers pour renforcer les régulations, par des voies naturelles, des ravageurs présents dans une parcelle. Ces solutions permettraient de réduire l’usage de pesticides si la régulation naturelle est suffisante.
Pour le second appel, au-delà de ces enjeux, nous avons élargi les projets éligibles à d’autres formes d’avancées en mesure de constituer des leviers majeurs pour réduire l’usage des phytos et/ou diminuer leurs impacts. Il s’agit par exemple de stratégies d’amélioration des plantes afin d’identifier les meilleures variétés pour des systèmes sans pesticides, ou encore d’approches pour améliorer les conditions de stockage et éviter ainsi des traitements phytos post récolte. En effet, une part majoritaire des céréales utilisées actuellement sont traitées post récolte compte-tenu de la réglementation pour le transport sur le marché mondial.
Florence Jacquet : Le secteur du biocontrôle est très illustratif de l’utilité d’un programme de type Maturation pour permettre un déploiement des solutions. En effet il y a eu ces dernières années, du fait des financements nationaux et européens, un progrès considérable dans les connaissances scientifiques en biologie, microbiologie, écologie chimique, portant par exemple sur les interactions olfactives entre les plantes et les insectes, le rôle du microbiote dans la santé des plantes ou encore les mécanismes de défenses naturelles des plantes, connaissances potentiellement porteuses d’innovations de ruptures. Mais ces résultats de recherche sont pour la plupart restés sans traduction au niveau des pratiques alternatives de protection des cultures.
Concrètement quelles solutions sont à l’étude ?
Xavier Reboud : On peut notamment citer deux projets fondés sur une piste très intéressante à savoir utiliser l’organisme que l’on craint comme son propre ennemi.
Le projet « SuzuKIISS : ME » se concentre sur la gestion d’une mouche, la Drosophila SuzuKII, qui se développe sur des plantes ornementales ainsi que sur l’ensemble des fruits rouges avant leur maturité, et s’attaque à des fruits en bon état. Le cycle de cette mouche est très court, de 4 à 6 jours, ce qui se traduit par un fort usage de phytos.
Ce projet vise à empêcher la production d’une descendance en lâchant des partenaires stériles. Il s’appuie sur une stratégie utilisée dans un contexte de gestion de la santé humaine, reposant sur des lâchers de moustiques mâles stérilisés pour diminuer drastiquement la présence de moustiques vecteurs de maladies (Chikungunya, Dengue, etc.). On peut facilement tester cette preuve de concept en vrai grandeur car cette mouche n’aime pas voler à plus de 10m du sol, aussi il est possible de constituer un mur autour de la zone à protéger et d’effectuer des lâchers pour évaluer la faisabilité de cette solution.
Le projet « ENFIN! » part quant à lui d’une observation fortuite, preuve de sérendipité de la recherche, que les souches de deux ravageurs proches, la tavelure de la pomme et la tavelure du Pyracantha (maladies fongiques), sont faciles à obtenir et incapables de se développer sur la pomme.
En effet, la tavelure du Pyracantha ne pousse pas sur la pomme et inversement, en revanche, leurs souches se croisent et donnent lieu à une descendance qui ne réussit pas à pousser sur la pomme. Sur cette base là on peut perturber le cycle de développement de la maladie en submergeant les vergers de souches de Pyracantha par exemple.
Florence Jacquet : Plusieurs types de projets sont financés par le programme Ecophyto Maturation, permettant par exemple de développer des méthodes alternatives à l’utilisation des pesticides, notamment dans le secteur de la lutte biologique, tels que ceux cités par Xavier Reboud et qui peuvent concerner différentes méthodes de biocontrôle (usage de macroorganismes, de médiateurs chimiques, de stimulateurs de défenses naturelles des plantes etc.). Il s’agit aussi de projets visant à produire des outils d’aide à la décision permettant de mieux observer les bioagresseurs et de mieux raisonner l’usage des pesticides ; et de projets visant à développer les régulations naturelles par modification du système de culture.
Une troisième édition est-elle prévue ?
Xavier Reboud : Nous avons lancé un premier appel en 2019 puis un second en 2021, et à ce stade nous ne savons pas si un 3ème appel sera lancé en 2023. A noter que les projets soutenus via les deux appels Ecophyto Maturation apportent quelque chose d’intéressant dans le paysage. Au-delà de leur succès possible, ils envoient le signal qu’il existe des enjeux de recherche et d’innovation importants sur ces thématiques. De plus, il existait peu de programmes dédiés à la maturation de travaux de recherche dans les domaines biologiques et l’agriculture, aussi Ecophyto Maturation montre que ce type de programme peut s’appliquer à d’autres domaines. Enfin, il fut agréable d’être surpris par des scientifiques qui voient dans leurs résultats une source d’amélioration à laquelle personne n’avait pensé, aussi il me semble important de laisser une libre place à la sérendipité dans un éventuel 3ème appel.
Florence Jacquet : Le programme Ecophyto Maturation représente un instrument de financement original dans le paysage des financements recherche-innovation actuellement disponibles pour aider à l’atteinte des objectifs du plan Ecophyto. Il constitue une incitation pour amener les chercheurs et les utilisateurs potentiels à travailler ensemble dans cette phase de montée en TRL pour laquelle on constate un déficit de travaux de recherche. Le programme commence à être bien connu dans les communautés de recherche et il est certain qu’une nouvelle édition permettrait de profiter de cet élan. Une troisième édition est envisagée, toutefois la décision de son lancement pour un financement en 2023 sera prise par le gouvernement en juillet 2022.
Une journée dédiée au programme se tiendra le 4 octobre 2022 à Paris, en présentiel et en ligne. Elle sera l’occasion de découvrir les premiers résultats des projets financés, d’entendre différents intervenants sur les moyens d’encourager l’innovation pour contribuer à la réduction de l’usage et des impacts des pesticides et d’échanger sur les pistes proposées.
Propos recueillis par Marion Courant
En savoir plus :
La journée Ecophyto Maturation le 4 octobre 2022 à Paris en présentiel et en ligne