Endométriose : et si l’exercice soulageait ?

Qu’est-ce que l’endométriose ?

Géraldine Escriva-Boulley : L’endométriose, c’est lorsque du tissu semblable à la muqueuse utérine, l’endomètre, s’installe en dehors de l’utérus. Ce tissu peut s’infiltrer un peu partout dans la zone pelvienne (plus rarement hors de cette zone) sur les organes ou les ligaments, et provoquer une réaction inflammatoire chronique. Une femme sur dix en serait atteinte. Certaines personnes seraient aussi asymptomatiques. Ce chiffre pourrait donc être en dessous de la réalité. Et si les diagnostics sont de plus en plus efficaces et de moins en moins tardifs, on estime encore à sept ans la durée de l’errance médicale.

Quelles hypothèses pourraient expliquer cette affection ?

G. E-B. : Il y en a plusieurs mais aucune n’est entièrement satisfaisante. On penche plutôt pour une combinaison de facteurs. Il y a l’hypothèse des menstruations rétrogrades, où la remontée de sang menstruel contenant des fragments d’endomètre peut migrer dans les trompes jusqu’à la cavité abdominale et créer des foyers endométriaux ; certaines expositions environnementales comme les perturbateurs endocriniens ; la génétique ; ou encore la métaplasie, c’est-à-dire lorsque des cellules normales se transforment en cellules semblables à l’endomètre et croissent.

« Une femme sur dix serait atteinte d’endométriose. Certaines personnes seraient aussi asymptomatiques. Ce chiffre pourrait donc être en dessous de la réalité. »

Quels sont les symptômes de l’endométriose et quels traitements existent aujourd’hui ?

G. E-B. : Ils sont divers et surtout, il y a autant de symptômes et de combinaisons de symptômes que de femmes. Les plus courants sont les douleurs chroniques – pelvienne, sciatique, au niveau des épaules -, la fatigue, des règles hémorragiques, des symptômes urinaires ou gastro-intestinaux.

L’endométriose entraîne aussi un risque d’infertilité, mais toutes les femmes atteintes d’endométriose ne sont pas infertiles. Les traitements sont d’abord hormonaux pour stopper les règles. Il existe aussi des traitements antalgiques pour soulager les douleurs. Lorsque tout cela a échoué, il reste la chirurgie. On parle également de solutions alternatives, plus douces, comme le CBD, le travail de cohérence cardiaque, l’alimentation anti-inflammatoire et l’activité physique. Mais il y a encore trop peu d’études pour en affirmer les effets positifs.

Justement, vous avancez l’hypothèse que l’activité physique (AP) pourrait soulager les symptômes de l’endométriose.

G. E-B. : Je suis convaincue des bienfaits de l’activité physique sur la santé ainsi que pour gérer certains symptômes dans le cadre des maladies chroniques. Je travaille dans le domaine du sport et de l’AP, plus particulièrement sur les mécanismes qui permettent de mettre les personnes en mouvement et de maintenir cette activité sur le long terme. Jusqu’à la fac, je faisais entre 8h et 15h de sport hebdomadaire, compétitions et entraînements compris.

Lors de ma thèse, j’ai fortement réduit cette activité et j’ai commencé à avoir des symptômes de l’endométriose. Je me suis donc demandée si quelqu’un s’était déjà penché sur le lien entre endométriose et activité physique. En voyant la pauvreté de la littérature scientifique sur le sujet, j’ai voulu creuser cette thématique.

Pourquoi une telle lacune dans la recherche ?

G. E-B. : Là aussi, il y a plusieurs réponses possibles. Pendant longtemps, et encore maintenant, on a considéré qu’avoir des douleurs durant les règles était normal, et que s’en plaindre, ça ne l’était pas. Comme je l’ai dit précédemment, il y a des symptômes divers. Par exemple, on ne va pas forcément parler de symptômes urinaires à son gynécologue. Par ailleurs, les médecins et les professionnels de santé ne sont formés à l’endométriose que depuis quelques années et on entend encore des médecins nier la douleur ou, maintenant que l’on en parle davantage, dire que l’endométriose est un phénomène de mode, et ne pas prescrire les examens nécessaires.

Lorsque finalement ils sont faits, il faut encore savoir où et quoi chercher. Enfin, certaines lésions sont petites et ne peuvent pas être repérées, sauf chirurgicalement. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de lien entre la taille de la lésion et les douleurs. Une petite lésion peut faire extrêmement mal et ne pas être détectée alors qu’une lésion plus importante peut ne pas engendrer de symptômes.

Dans quelle mesure les personnes atteintes d’endométriose s’enferment-elles dans un cercle vicieux de la sédentarité ?

G. E-B. : Parce que l’endométriose peut s’infiltrer un peu partout dans la zone pelvienne et réduire la capacité à se mouvoir. Cela provoque aussi une inflammation qui peut engendrer des douleurs. Et lorsque l’on a mal, le premier réflexe est plutôt de ne pas bouger. Or, moins on mobilise le corps, les organes, les ligaments, moins ils peuvent bouger, ce qui peut favoriser l’inflammation. Et plus il y a de l’inflammation, et plus on a mal. En somme : plus on a mal, moins on bouge et moins on bouge et plus on a mal. Les objectifs du projet CRESCENDO sont justement d’investiguer les liens entre activité physique et endométriose, et de tester les effets d’un programme combinant activité physique et activité éducative sur les symptômes qui y sont liés.

Dans la première partie de cette étude, vous avez mené une enquête par questionnaires. Quels en sont les principaux résultats ?

G. E-B. : Grâce à CRESCENDO, nous avons mené une enquête auprès de 221 femmes atteintes d’endométriose et 249 femmes non atteintes. L’objectif, avec ces questionnaires, étaient de saisir leur motivation, le rôle du soutien de l’entourage ou encore les obstacles à la pratique de l’AP. Parmi les conclusions qui se sont dessinées, nous avons pu relever, logiquement, que les personnes atteintes ont une moins bonne qualité de vie que celles qui n’en n’ont pas. Mais aussi que cela se ressent au niveau social, avec des frustrations du besoin de proximité sociale lorsqu’elles font de l’activité physique (autrement dit, elles se sentent moins intégrées, moins respectées), et elles ont une moins bonne estime de soi.

Même si elles pensent que l’activité physique est bénéfique et sécuritaire, avec un score plus élevé que chez les personnes non atteintes, elles se sentent limitées par leur état de santé. Leurs compétences et la peur que l’activité physique provoque des douleurs est l’obstacle le plus important. Nous avons ensuite poursuivi ces travaux par une série d’entretiens individuels pour affiner ces premiers résultats. Et puis nous avons testé un programme sur 3 puis 6 mois auprès d’un échantillon de personnes, proposant différentes activités physiques avec un questionnaire proposé avant et après chaque séance.

Quelles seraient donc les activités physiques à privilégier ?

G. E-B. : Là encore, il y a autant d’activités que de femmes. Notre étude pilote montre que les activités physiques du type yoga / pilates / streching aident à diminuer les douleurs et améliorer le bien-être. Les activités de types cardio seules engendrent autant de bénéfices que d’effets néfastes ; les activités de type renforcement ne montrent pas de changement dans le niveau de douleur, de fatigue ou de bien-être. Celles qui souhaitent faire du renforcement peuvent le faire, attention néanmoins à ne pas forcer sur la zone pelvienne. Les séances proposant des activités cardio et du renforcement doux étaient celles qui avaient de plus d’effets positifs.

Il s’agit encore d’étude pilote : ces résultats méritent encore d’être confirmés et des points sont à éclaircir comme le rôle de l’intensité de la pratique. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que contrairement aux autres pathologies, on ne peut pas penser la progression de l’activité physique comme linéaire, où plus on avance dans le temps plus l’intensité et la durée augmentent. Mais plutôt de manière cyclique, en palier ou en marche d’escalier, permettant ainsi de suivre le cycle menstruel.

« Notre étude pilote montre que les activités physiques du type yoga / pilates / streching aident à diminuer les douleurs et améliorer le bien-être. »

Les professionnels de santé et d’activité physique doivent-ils encore être sensibilisés et formés à ces problématiques ? Quels seront les prochaines étapes de CRESCENDO ?

G. E-B. : Oh que oui… Dans cet objectif, nous essayons de présenter le projet lors d’événements, comme des congrès de gynécologie ou dans le cadre des Journées de l’activité physique adaptée. Mais nous avons surtout besoin de programmes de recherche pour plus et mieux prendre en charge les personnes concernées. Côté recherche, nous sommes en train de finir un nouveau recrutement pour la prochaine étape.

Nous attendons les 25 participantes d’un CHU partenaire, à Grenoble, qui nous permettront de tester les effets de l’activité physique sur les facteurs de l’inflammation. Nous avons aussi commencé à proposer de l’activité physique aux personnes qui sont entrées dans le programme en étant dans le groupe contrôle. Et j’aimerais, à terme, et en plus des vidéos déjà disponibles, proposer un guide des bonnes pratiques pour les patients et les professionnels de santé.

En savoir plus :

La recherche clinique sur l’Endométriose | Association EndoFrance 

Projet ANR CRESCENDO