Escrime : quand la lame croise le mental

Pour répondre à l’appel à projets du PPR Sport de très haute performance du plan France 2030 opéré par l’ANR, Julie Doron, ancienne escrimeuse internationale, a réuni autour de la Fédération Française d’Escrime et de Nantes Université un consortium pluridisciplinaire partageant une expertise reconnue en psychologie et physiologie appliquées à la performance sportive de très haut niveau, avec les Universités Claude Bernard-Lyon 1 (UCBL), Paris-Nanterre (UPN), Montréal (UdeM) et Bretagne Occidentale (UBO).

Élaboré pendant le confinement, période propice à des échanges préparatoires avec des entraîneurs représentant les trois armes de l’escrime, l’épée, le fleuret et le sabre, le projet TrainYourBrain s’est fixé pour ambition d’enrichir les savoir-faire de l’école française d’escrime en intégrant la dimension mentale aux méthodes d’entraînement.

Simuler une compétition pour mesurer la fatigue mentale

Avec des journées de compétition qui peuvent durer onze heures, composées de matchs de deux à quinze minutes et entrecoupées de temps d’attente souvent supérieurs à une heure, l’escrime est un défi mental permanent. « Psychologiquement, ce rythme peut avoir des conséquences sur les performances des escrimeurs et escrimeuses et affecter leur lucidité sur les matchs de fin de compétition, pourtant décisifs dans la quête d’une médaille », explique Julie Doron.

Afin d’étudier les exigences de la performance sportive de haut niveau et analyser la manière dont les sportifs y répondent physiquement et psychologiquement, le projet TrainYourBrain s’est d’abord concentré sur la caractérisation des effets de la fatigue mentale sur les performances non seulement cognitives, mais aussi physiques des sportifs.

Les scientifiques ont reproduit un format de compétition identique à celui des Jeux olympiques, en simulant un parcours en cinq matchs de quinze touches, avec une finale à la clé. Ce dispositif a prouvé que si la compétition avait peu d’impact sur la fatigue physique ou musculaire en raison de la très bonne préparation physique des sportifs, la fatigue mentale « perçue » augmentait au fur et à mesure des matchs.

En complément des tests et questionnaires utilisés pour mesurer l’évolution de la charge mentale, des entretiens ont été réalisés et associés à des dispositifs d’« eye-tracking » pour identifier les stratégies mentales et visuelles mises en place par les sportifs et étudier les conséquences des décisions d’arbitrage, erreurs de jeu, temps de pause, etc.

L’ensemble de ces tests, dont les résultats ont été ensuite transmis aux participants, a permis aux scientifiques d’identifier les paramètres sur lesquels il était possible de travailler pour concevoir et proposer de nouvelles séquences dans les méthodes d’entraînement.

« Ce qui nous intéresse, c’est l’adaptation psychologique des sportifs et des sportives de haut niveau à des conditions extrêmes, quel que soit leur sport »

Parallèlement, les équipes du projet ont travaillé sur une procédure plus expérimentale d’induction de fatigue neuromusculaire et mentale qui s’appuie sur des cibles lumineuses placées sur des panneaux. Le test consiste à viser les cibles avec précision et avec le temps de réaction le plus court possible. En raison du nombre limité de sportifs susceptibles de participer à cet exercice, cette phase du projet est toujours en cours et sera ouverte à des représentants d’autres disciplines.

Développer des méthodes d’entraînement mental innovantes

À partir des résultats obtenus lors des premières phases du projet, les scientifiques ont développé trois types de méthode d’entraînement mental innovants basés sur des approches pluridisciplinaires.

La première méthode repose sur une technique d’entraînement perceptif à la prise de décision à l’aide de la vidéo, un exercice pendant lequel il est demandé au sportif de réagir à la fin d’extraits vidéo de matchs pour renforcer la rapidité et la pertinence des prises de décision pendant les compétitions.

La deuxième méthode, plus particulièrement adaptée à l’épée, est l’entraînement en endurance mentale. En amenant les sportifs à s’entraîner avec une charge cognitive supplémentaire, il est possible de développer leur résistance à la fatigue mentale. Les scientifiques ont ainsi recommandé la mise en place de séances de « double tâche », avec, par exemple, une tâche de pédalage sur vélo ergomètre couplée à un exercice cognitif réalisé sur tablette afin de solliciter l’attention des sportifs et développer leur capacité de gestion de charges mentales importantes.

Enfin, pour le sabre, les scientifiques ont travaillé sur une méthode d’entraînement fondée sur la pleine conscience, pour améliorer la lucidité et l’engagement des sportifs pendant les matchs. Les exercices menés par des préparateurs mentaux s’articulent autour de trois notions clés : la lucidité, conscience du moment présent, l’acceptation, capacité à « faire avec » ses émotions, ses pensées et ses sensations agréables comme désagréables, et la re-concentration, capacité à ramener son attention sur les éléments essentiels de la performance, tels que l’objectif.

Former, transmettre et s’ouvrir à d’autres sports

Si l’articulation des phases de recherche avec la préparation des Jeux olympiques a permis de sensibiliser sportifs et entraîneurs à l’intérêt des méthodes proposées, leur intégration dans les programmes de préparation nécessite un temps plus long et des modules de formation continue adaptés, sur lesquels les scientifiques travaillent actuellement. « Ce sont d’ailleurs les escrimeurs et escrimeuses du pôle Relève, la génération qui prépare les Jeux olympiques de Los Angeles 2028, et leurs maîtres d’armes qui ont le plus utilisé ces nouvelles méthodes d’entraînement », souligne Julie Doron.

Un dispositif de sensibilisation grand public a également été mis en place avec la création d’un compte Instagram dédié à la diffusion sous forme de bande dessinée de séquences illustrant les problématiques mentales rencontrées quotidiennement par les escrimeurs et les escrimeuses et la manière avec laquelle les sportifs peuvent les gérer plus efficacement (compte Instagram @tybescrime).

Ces méthodes pourront être utilisées dans d’autres disciplines, notamment celles qui se pratiquent sous forme de duels. D’autant plus que « en tant que chercheurs et chercheuses, nous n’avons pas vocation à étayer scientifiquement une discipline en particulier », rappelle Julie Doron. « Ce qui nous intéresse, c’est l’adaptation psychologique des sportifs et des sportives de haut niveau à des conditions extrêmes, quel que soit leur sport. »