Favoriser l’égalité femmes-hommes dans la recherche : les apports du projet Gender-SMART
Dans quel contexte est né le projet Gender-SMART ?
Laurence Guyard : Des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes persistent en France, y compris dans l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR). Ces inégalités sont proches voire équivalentes à celles des pays européens. On observe des différences notoires en termes de trajectoires professionnelles, les femmes maîtres de conférences ou chargées de recherche étant par exemple plus nombreuses que les professeures ou les directrices de recherche.
Source : She figures 2021
Un contexte national de lutte contre ces inégalités a progressivement vu le jour, renforcé en 2019 par la loi de transformation de la fonction publique qui exige des plans d’action pour l’égalité de genre au sein des organismes et des établissements de l’ESR. Au même titre que ces acteurs, l’ANR, en tant que financeur de la recherche, tient une place importante pour contribuer à la réduction de ces inégalités.
L’Agence, sollicitée à ce sujet lors de la 9ème conférence sur les inégalités de genre en 2016, a entrepris des mesures dès 2017 et a souhaité participer à un consortium européen afin de bénéficier de l’éclairage et de l’appui de partenaires, notamment techniques, pour déployer un plan d’action égalité. Nous avons obtenu un financement de la Commission européenne en 2018 avec huit autres partenaires européens dans le cadre du projet Gender-SMART (2019-2022) coordonné par le Cirad. Il visait à implémenter des plans d’action genre (Gender Equality Plan) au sein des organismes partenaires du projet, et à développer des bonnes pratiques transférables aux acteurs institutionnels de la recherche.
Dans quelle mesure cette collaboration a-t-elle renforcé la politique égalité de l’ANR ?
Laurence Guyard : Gender-SMART nous a donné une plus grande force d’action pour contribuer à cette lutte. Le financement alloué et le recrutement d’une chargée d’études genre à l’ANR, à savoir Angela Zeller, ont été des ressources supplémentaires essentielles pour définir et mettre en œuvre un certain nombre d’initiatives. Les échéances structurantes de la commission ont de plus contribué à mobiliser toute l’Agence, et nous ont conféré une légitimité pour mener des actions concrètes. Nous avons également pu nous nourrir de contextes nationaux variés sur les plans culturel et politique, par exemple le contexte politique espagnol, particulièrement volontaire sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes.
Angela Zeller : Ce projet a suscité un effet moteur parmi les institutions partenaires pour opérer un changement de culture en matière d’égalité femmes-hommes. Il fut l’occasion pour l’ANR de travailler de concert avec des organismes et des établissements de recherche en Europe, dont le Cirad pour la France, sur les actions et les bonnes pratiques à adopter. Il s’agissait d’avancer ensemble dans une même direction, selon un processus graduel sur quatre ans et dans des contextes nationaux différents.
Nous avons bénéficié de l’appui de deux partenaires techniques tout au long du projet, à travers des formations et outils, notamment pour mener une auto-évaluation et ainsi formaliser et structurer le plan d’action égalité de l’ANR. Nous avons également été formées aux techniques d’élaboration d’un plan, à la gestion des potentielles résistances en interne et à la réalisation du suivi des actions et leur évaluation. Cet accompagnement a été décisif pour inscrire, même en situation de crise sanitaire, les questions d’égalité de genre à l’agenda des institutions membres.
Laurence Guyard : Nous avons ainsi élaboré et déployé, dans le cadre de Gender-SMART, un plan d’action en faveur de l’égalité sur la période 2020-2023, organisé autour de 3 axes : la culture et l’organisation de l’ANR, la gestion des ressources humaines, et le financement de la recherche, notre cœur de métier. L’engagement du président-directeur général Thierry Damerval fut déterminant pour la bonne mise en œuvre du plan. Celle-ci est renforcée par le contrat d’objectifs et de performance État-ANR 2021-2025 qui décline des jalons et des indicateurs complémentaires.
Quelles actions l’ANR mène-t-elle pour contribuer à la réduction de ces inégalités ?
Laurence Guyard : Nous produisons depuis 2017 des analyses sur les projets déposés, sélectionnés et financés de l’Appel à projets générique (AAPG) de l’ANR, afin d’observer d’une part, les pratiques des femmes et des hommes de science en matière de réponse aux appels, et d’identifier, d’autre part, des potentiels biais de genre dans les processus d’évaluation. Nous veillons aussi ce que la parité dans les comités d’évaluation soit recherchée car il est important que les femmes de science participent, au même titre que les hommes, aux activités d’évaluation et assurent la présidence d’un comité.
Par ailleurs, les stéréotypes de genre qui s’immiscent dans les trajectoires professionnelles peuvent également se retrouver dans les approches scientifiques. L’ANR encourage ainsi les communautés à considérer la dimension sexe/genre dans leurs travaux de recherche, quel que soit le domaine, pour une production des connaissances de qualité. Dans le cadre de Gender-SMART, nous avons mis en place une phase test d’intégration de la dimension sexe/genre dans la rédaction des projets déposés à l’AAPG 2020, reconduite en 2021, afin de sensibiliser les communautés. Suite à cette phase concluante, cette démarche a été introduite dans les critères d’évaluation des projets déposés à l’AAPG 2022. Nous avons également organisé un colloque sur le genre en recherche avec le Cirad en 2020 pour contribuer à une meilleure prise en compte de cette dimension.
En parallèle de ces deux volets d’action majeurs, l’ANR s’attache à sensibiliser et à former les évaluateurs et les collaborateurs et collaboratrices aux notions et aux enjeux relatifs à l’égalité de genre. Nous avons ainsi élaboré au sein de Gender-SMART, un guide de communication inclusive sans stéréotype de genre partagé en interne. Nous avons de plus mis en place une procédure dédiée de signalement et de traitement des cas de harcèlement sexuel ou de sexisme, mesure inscrite dans le plan d’action égalité.
Angela Zeller : L’ANR a également introduit des analyses par sexe pour toutes les catégories de son bilan social interne, par exemple sur la rémunération à l’embauche ou sur l’attribution des primes. Ce travail, réalisé en étroite collaboration avec nos collègues de la direction des ressources humaines, a été identifié comme une « bonne pratique » et intégré dans un livrable du projet Gender-SMART.
Une autre action importance consiste à valoriser les parcours de coordinatrices de projets de recherche, de présidentes et de membres de comité, notamment à travers la série de vidéos « Portraits de femmes de science ». Nous avons par exemple valorisé le parcours et les travaux de Marion Fortin, professeure de gestion à la Toulouse School of Management et coordinatrice du projet ANR JUDY, sur les expériences de justice et d’injustice au travail de femmes enceintes et de parents de jeunes enfants.