La valorisation scientifique des données au service de la performance sportive

Comment le projet PerfAnalytics est-il né ?

Lionel Reveret : Dès 2017, mes travaux de recherche sur l’utilisation des flux vidéo pour numériser et mesurer le mouvement humain m’ont amené à développer des projets avec l’équipe de France d’escalade de vitesse et à poser ainsi les premiers jalons de PerfAnalytics, projet de grande envergure mené dans le cadre de l’appel à projets PPR Sport de très haute performance du plan France 2030 opéré par l’ANR.

Pour couvrir toutes les étapes allant de l’analyse d’images à la modélisation biomécanique, six partenaires scientifiques se sont mobilisés : le laboratoire LJK dans le centre INRIA de l’Université Grenoble Alpes, le laboratoire IRMES de l’INSEP à Paris, l’institut PPRIME de l’Université de Poitiers, le laboratoire GIPSA-lab de l’Université Grenoble Alpes, l’Institut des sciences du mouvement d’Aix-Marseille Université et le LBMC de l’Université Gustave Eiffel (Lyon).

Les fédérations françaises de la Montagne et de l’Escalade (FFME), de Boxe, de Lutte et Disciplines Associées, de Gymnastique et de Cyclisme, qui étaient déjà en relation avec les laboratoires, se sont également associées au projet.

Le projet PerfAnalytics repose donc sur un vaste consortium, déployé avec l’idée qu’il existe des composantes et méthodologies scientifiques (informatiques, statistiques, biomécaniques) qui peuvent être mutualisées et mises au service de problématiques spécifiques rencontrées dans chaque discipline.

Quelles sont les particularités des données vidéo dans le sport de haut niveau ?

L. R. : Tous les sports utilisent la vidéo, les compétitions et les entraînements sont filmés, et les performances sont visionnées pour être analysées et annotées. Il existe donc une masse phénoménale de données brutes fragmentées et de bases de données construites à la main soit par les entraîneurs soit par les cellules d’analyse vidéo des fédérations.

Nous avons donc d’abord travaillé sur la centralisation et la rationalisation des données avec l’Agence nationale du sport (ANS) qui a mis à notre disposition l’outil « Sport Data Hub », un écosystème informatique développé à la demande du ministère chargé des Sports. C’était essentiel de montrer que l’on pouvait utiliser une technologie de type « cloud », mais complètement sécurisée pour un travail sur des données sensibles, stratégiques et personnelles, en restant scrupuleusement dans le périmètre national.

« Il existe des composantes et méthodologies scientifiques qui peuvent être mutualisées et mises au service de problématiques spécifiques rencontrées dans chaque discipline »

Une fois les données structurées, nous avons appliqué des modèles de calcul intensif et de traitement, en nous appuyant sur les résultats récents de l’apprentissage automatique.

Comment vos recherches se sont-elles articulées avec les spécificités du sport de haut niveau ?

L. R. : Dès le départ, nous avions identifié la nécessité d’articuler le temps de la recherche avec le temps de l’entraînement. Le temps long permet de mettre en place des sessions avec des appareillages complexes, sophistiqués, puis de prendre le temps de la réflexion et de l’investigation sur les données pour publier des résultats à six mois ou un an. Mais ce travail ne représente qu’une partie de ce qui est utile pour le sport de haut niveau.

Afin de répondre aux attentes des fédérations, il nous fallait aussi aller vers des outils « du quotidien » au service du pilotage des projets de performance des sportifs. Pour les coconstruire, nous nous sommes appuyés pour chaque discipline sur un binôme scientifique-responsable sportif.

Quels outils ont été déployés dans le cadre de PerfAnalytics ?

L. R. : Nous mettons à la disposition des entraîneurs des outils d’annotation et d’indexation, à l’aide de solutions que nous avons rendues les plus souples possibles grâce aux recherches sur l’interface homme machine et l’optimisation ergonomique des logiciels. 

En fonction des besoins de chaque discipline, les données vidéo sont complétées par des mesures réalisées à l’aide de capteurs. Une fois les données indexées sur les serveurs du « Sport Data Hub », les algorithmes sont appliqués et les résultats des analyses peuvent être consultés en continu et en toute autonomie. Ces indicateurs apportent aux entraîneurs des informations supplémentaires pour évaluer les performances et un « complément d’objectivité » pour nourrir leur dialogue avec les sportifs.

En nous appuyant sur cette infrastructure collective, nous avons ensuite fourni à chaque fédération sportive partenaire des dispositifs développés sur mesure. Pour l’escalade de vitesse, nous avons conçu un mur d’entraînement avec des capteurs de force. Les informations reçues sont mises en relation avec un système d’analyse vidéo qui mesure la cinématique et donne des précisions sur la manière dont le geste est effectué. Pour la boxe, la collecte et le traitement des données vidéo permettent d’obtenir des indications sur l’occupation du ring et le placement des adversaires pendant les combats. Elles sont complétées par un système d’accéléromètre placé dans les gants pour mesurer la cadence des coups. Pour la gymnastique, c’est la posture aux anneaux qui est étudiée.

En ce qui concerne la lutte, nous n’avons pas mis en place d’outil d’analyse automatique du geste, mais nous nous sommes concentrés sur l’analyse de toutes les informations qui s’affichent pendant un combat. À partir de l’étude de l’évolution des scores, des pénalités et des arrêts sur des milliers de matchs, nous pouvons réaliser des modélisations mathématiques des stratégies gagnantes.

Enfin, pour le BMX race, nous avons mis l’accent sur les mesures de force dans les pédales et nos recherches ont abouti au dépôt d’un brevet sur un changement de vitesse automatique, en cours d’homologation et déjà utilisé lors d’un événement sportif.

Comment envisagez-vous l’après-Jeux olympiques ?

L. R. : Le projet a été prolongé jusqu’en décembre 2024, ce qui nous donnera l’occasion d’effectuer un retour d’expérience et de finaliser le transfert des outils aux fédérations une fois passée l’effervescence des Jeux olympiques.

Ensuite, en raison de la nature collective de l’infrastructure que nous avons développée, il sera possible de l’adapter à d’autres disciplines. Nous avons d’ores et déjà été contactés pour travailler avec le para handball et le para badminton, et une thèse CIFRE sur l’analyse vidéo automatique et le para sport a été mise en place avec la société Trinoma, spécialisée dans l’analyse de mouvement. Ouverture à de nouveaux sports et développement de partenariats avec des entreprises sont donc des pistes qu’il sera intéressant d’explorer.

En savoir plus :

Site web du projet PerfAnalytics : présentation d’exemples de vidéos d’analyse 3D du mouvement