L’ANR publie un nouveau plan d’action égalité femmes-hommes

Quelles ont été les étapes clés du déploiement de la politique d’égalité femmes-hommes à l’ANR ?

Laurence Guyard : L’ANR a toujours été attentive à l’équité de traitement des projets et a formalisé en 2017 son engagement relatif à l’égalité dans une note auprès du cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

De manière à tenir cet engagement et à déployer un plan d’action réfléchi et structuré, l’ANR s’est investie dans un travail collaboratif avec des organismes de recherche en devenant l’un des 9 partenaires du projet européen GenderSmart. Ce projet avait pour objectif de mettre en place des plans d’action égalité dans les organismes de recherche et de financement. L’intérêt de la participation à ce projet était de bénéficier d’un cadre structurant et de l’accompagnement de deux partenaires spécialisés, l’un en sociologie du genre (Institute of Sociology of the Czech Academy of Sciences, ISAS) et l’autre en accompagnement du changement institutionnel (Yellow Window).

Sur la base de ces travaux, des résultats issus d’une phase d’auto-évaluation réalisée au 1er semestre 2019 et de trois ateliers de travail conduits avec le Comité exécutif de l’Agence, l’ANR a élaboré un premier plan d’action pour la période 2020-2023, en conformité avec l’évolution du contexte législatif national et la loi de la transformation de la fonction publique de 2019.

Afin de stimuler la mise en œuvre des actions prévues dans le cadre du plan et de donner une visibilité à l’implication de l’agence en matière d’égalité, l’ANR s’est ensuite engagée dans une démarche de labellisation Égalité, label qui a été décerné à l’agence par l’Afnor en mai 2023.

Après la mise en œuvre du premier plan d’action 2020-2023, l’ANR a récemment renouvelé son engagement en adoptant un deuxième plan d’action égalité femmes-hommes pour la période 2024-2027. Pouvez-vous nous présenter ses spécificités ?

Laurence Guyard : Le deuxième plan d’action s’inscrit dans la continuité du premier, avec pour objectif d’ancrer durablement l’égalité au sein de l’Agence et de ses activités, conformément au bilan dressé fin 2023. En effet, ce bilan montrait que, si les actions mises en œuvre dans le cadre du premier plan d’action égalité avait été très nombreuses (75% réalisées, 9% en cours, 5% à reconduire, 11% obsolètes), il était essentiel de les pérenniser. Les inégalités de genre constituent un objet très complexe à manipuler et les changements durables ne peuvent de ce fait être envisagés que sur le temps long. Les stéréotypes de genre sont difficiles à déconstruire d’autant que l’on peut rencontrer de plus ou moins fortes résistances conscientes ou inconscientes.

Ce deuxième plan a été élaboré de manière participative, avec le concours d’un groupe de travail constitué de volontaires, dans lequel étaient représentées toutes les directions ainsi qu’un large éventail de fonctions et de métiers.

Il est organisé autour de deux axes, l’un portant sur l’ancrage de l’égalité au sein de l’agence et l’autre sur l’inscription de l’égalité dans la recherche.

Pour chacun de ces axes, les formations tiennent une place importante que ce soit auprès du personnel de l’Agence ou auprès des évaluateurs et évaluatrices de projets.

Les autres actions du plan consistent pour beaucoup d’entre elles en la matérialisation des dispositifs mis en place lors du premier plan. De nombreux livrets ou guides seront élaborés pour renforcer la sensibilisation, mieux informer et accompagner le personnel de l’Agence, à l’instar du guide de communication inclusive sans stéréotype de genre publié en 2022.

Les actions portant sur la production d’analyses de données de dépôt et de sélection ainsi que celles consistant à valoriser les femmes de sciences seront également reconduites.

La parution de ce nouveau Plan coïncide avec la publication de l’ouvrage Le genre en recherche – Évaluation et production des savoirs, dont vous avez assuré la coordination aux côtés de Magalie Lesueur-Jannoyer, directrice régionale au Cirad, et d’Angela Zeller, qui était chargée d’études Genre à l’ANR. Quels sont les principaux enseignements de ce livre sur les biais qui peuvent non seulement s’immiscer en science dans les processus d’évaluation, mais aussi déterminer et orienter les approches scientifiques ?

Laurence Guyard : L’originalité de cet ouvrage, qui s’inscrit dans le prolongement du colloque que l’ANR avait coorganisé en décembre 2020, est de réunir scientifiques et agences de financement pour s’emparer de ces questions. Le premier enseignement est donc qu’il est possible de rassembler les différents acteurs de l’écosystème de la recherche autour de la question des inégalités. Cela témoigne de la volonté partagée de s’en emparer et d’y apporter des réponses.

L’ensemble des contributions s’accordent sur le fait que les inégalités sont (re)produites par l’existence de stéréotypes et de barrières idéologiques qui structurent et gouvernent l’ensemble des activités sociales et que seul un travail de prise de conscience et de déconstruction permettra, s’il est soutenu par une politique volontariste, une transformation de la société vers l’égalité.

Les sciences humaines et sociales démontrent de manière renouvelée ces mécanismes. Mais toutes les disciplines scientifiques ont un rôle à jouer en considérant chaque fois que cela est pertinent la dimension sexe et/ou genre dans la conduite de leurs travaux de recherche.

Un effort doit être porté sur le décloisonnement disciplinaire afin de reconnaître la complexité des objets de recherche et de les envisager dans leurs multiples dimensions pour mieux anticiper les conséquences potentielles de l’application des résultats.

Enfin, les agences de financement doivent soutenir et encourager ces efforts.

Dans le cadre de ses plans d’action, l’ANR met en œuvre des mesures pour lutter contre la (re)production des inégalités dans la recherche. Quelles sont les mesures phares mises en place et quels résultats ont déjà pu être observés ?

Laurence Guyard : Chaque année, l’ANR se saisit des dates symboliques des 11 février (Journée internationale des femmes et des filles de science) et 8 mars (Journée internationale des droits des femmes) pour valoriser des projets portant sur la question des inégalités coordonnés par des femmes et qui sont en cours de financement. Ces dates symboliques sont aussi l’occasion pour l’Agence de présenter des portraits de femmes de science ayant obtenu un financement ANR ou participé à un processus de sélection en tant que présidente de comité.

L’ANR produit également des analyses annuelles sur les données de dépôts et de sélection sur l’Appel à projets générique (AAPG) qui représente un terrain d’observation privilégié couvrant l’ensemble des domaines scientifiques. Ces analyses sont essentielles pour vérifier qu’il n’y a pas de biais de genre dans l’évaluation. Il est important de les publier pour que les communautés scientifiques aient un retour sur la réalité des pratiques des femmes et des hommes de science dans le cadre des appels à projets et qu’elles puissent s’en emparer pour les faire évoluer. Toujours dans l’objectif de s’assurer que des biais de genre ne s’immiscent pas dans l’évaluation des projets, le dispositif d’observation des comités mis en place par l’ANR a été renforcé depuis 2022, mesure qui était inscrite dans le premier plan d’action égalité. 

Parallèlement, afin d’étudier la manière dont les candidats et candidates prennent en compte la dimension sexe et/ou genre dans leur approche scientifique, une phase expérimentale a été lancée lors de l’appel à projets générique des éditions 2020 et 2021. L’analyse des réponses obtenues fait l’objet d’un chapitre de l’ouvrage Le genre en recherche. L’objectif était de mesurer le niveau de compréhension que les communautés avaient des enjeux associés aux questions d’égalité et de genre.

À l’issue de cette première phase, des actions de sensibilisation et de formation des membres des comités d’évaluation ont été mises en place et, désormais, les textes et guides des appels à projets incitent les candidates et les candidats à être attentifs à la dimension sexe et/ou genre dans leur approche scientifique, qui sera étudiée par les comités si cela est pertinent. Pionnière dans la mise en place d’un dispositif fortement incitatif, l’ANR participe à des groupes de travail et d’échanges de bonne pratique avec d’autres agences de financement, notamment au niveau européen, dans le cadre de Science Europe.

Depuis le déploiement de ces actions, des évolutions ont été constatées, notamment l’augmentation des dépôts de projet par les femmes en tant que coordinatrices. Ces évolutions positives s’inscrivent dans un contexte législatif favorable puisque tous les établissements et organismes de recherche doivent avoir mis en place un plan d’action égalité et ne peuvent donc pas être attribuées aux seuls dispositifs mis en place par l’ANR. En revanche, la démarche réflexive dans laquelle l’Agence inscrit ses actions avec des retours d’expérience partagés, des interactions renouvelées avec les communautés scientifiques et les institutions permet sans aucun doute d’en renforcer l’efficience puisqu’elles sont en cohérence avec l’ensemble des actions mises en œuvre dans l’ensemble de l’écosystème.

En savoir plus

Deuxième plan d’action pour l’égalité femmes-hommes et la prise en compte du genre -2024-2027 (pdf à venir)

Livre Le genre en recherche : évaluation et production des savoirs. Éditions Quæ. Format papier

Livre Le genre en recherche : évaluation et production des savoirs. Éditions Quæ. Ebook en accès libre sur quae-open.com

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