Le droit, un levier d’inclusion pour les parasportifs

Du 28 août au 8 septembre 2024 se tiendront les Jeux paralympiques de Paris. Plus de 4300 parasportifs (dont 1859 féminines) concourent aux quelque 549 épreuves rassemblées dans 22 disciplines sportives. Comment la science peut-elle les aider à maximiser leur chance de réussite et décrocher l’or olympique ? Quel rôle joue-t-elle à ce niveau de performance ?

Lancé en 2020 dans le cadre du Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Sport de très haute performance, le projet Paraperf a investi le champ du parasport. L’ambition : aller toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort mais aussi parvenir à mieux connaître les parasportifs… pour mieux les reconnaître. Impliquant 13 laboratoires et trois fédérations sportives, Paraperf se déploie ainsi autour de trois axes principaux : le premier vise à optimiser la trajectoire de performance des parasportifs à l’aide d’analyse et d’outils d’aide à la décision personnalisée. Le second est dédié à l’optimisation du couple athlète – fauteuil (12 des 22 disciplines olympiques se pratiquent en fauteuil roulant ; neuf sont étudiés dans le cadre du projet). « Enfin, le dernier, que j’encadre, s’intéresse à leurs conditions de préparation et d’entraînement, leurs conditions psychologiques et de bien-être et leurs conditions socio-économiques. L’objectif est de mieux appréhender les facteurs favorables à la très haute performance, et plus largement de favoriser un environnement propice à une préparation pour les JOP » explique Mai-Anh Ngo, ingénieure de recherche au CNRS au sein du Groupe de recherche en droit, économie et gestion (Unité CNRS/Université Côte d’Azur).

Mieux connaitre pour mieux reconnaître

Après 10 ans à faire de la recherche sur la qualité des produits agroalimentaires, Mai-Anh Ngo, parasportive multimédaillée en natation et championne de France karaté kata en 2022, a réorienté en 2010 ses travaux sur ces problématiques.

« Il y a eu un calquage du modèle olympique vers le modèle paralympique qui, en réalité, n’a pas pris en compte les spécificités de ce dernier »

Dans le cadre de Paraperf, et en collaboration avec des chercheurs et des chercheuses en sociologie, psychologie et droit, Mai-Anh Ngo s’est ainsi principalement appuyée sur des questionnaires et des entretiens menés auprès des professionnels (parasportifs, membres du staff, familles, etc) afin d’évaluer l’intégration des spécificités paralympiques dans la réglementation sportive et l’intégration des spécificités du sport dans le droit du handicap. « Il y a eu un calquage du modèle olympique vers le modèle paralympique qui, en réalité, n’a pas pris en compte les spécificités de ce dernier » précise-t-elle.

Elle s’est intéressée aux acteurs inconnus du monde juridique comme les assistants, les guides ou les pilotes, ces sportifs valides qui accompagnent les sportifs paralympiques. La juriste a travaillé sur la question de la compensation humaine et notamment de la reconnaissance de ces assistants comme sportifs de haut niveau. « Nous nous sommes aperçus que certains outils étaient inadaptés » explique-t-elle. Pour preuve : pour inscrire un binôme dans le cadre d’une course de fond, l’on peut seulement indiquer qu’il est… non-voyant. « Loin d’être un détail, cela entre en décalage avec la réalité des parasportifs. Le guide, s’il n’est pas reconnu sportif de haut niveau, n’a pas le temps de s’entraîner avec le parasportif ou individuellement ». Mai-Anh Ngo a ainsi développé un outil pour la Fédération Française Handisport afin de mieux sécuriser ce binôme.

Modifier le Code du sport ?

La juriste s’est aussi penchée, avec le groupe de travail médical de Paraperf et l’Institut de Santé Parasport Connecté, sur la surveillance médicale réglementaire des parasportifs, elle aussi « inadaptée » selon leurs conclusions. « Cela peut sembler évident, mais parmi nos principaux constats, la prise en compte du handicap – qu’il soit inné ou acquis – doit intervenir en premier dans le suivi médical, avant même la performance sportive. ». Stabilité pour les sports de précision, maniabilité pour le rugby ou le basket, problématiques du frottement ou des chutes : ses travaux ont également permis de montrer que le parasportif ne peut pas être découplé de son matériel – où chaque réglage compte. Aussi, dans le Code du sport, il peut n’y avoir aucune norme établie prenant en considération, par exemple, le problème de résistance au roulement du fauteuil ou de blessure d’un parasportif. « Nous avons également identifié un certain nombre d’handicaps qui ne permettent pas de réaliser l’obligation de suivi telle qu’elle est actuellement rédigée », ajoute-t-elle.

Faire avancer le Code du sport sur l’idée de compensation humaine ou technique spécifique, « ce ne sera peut-être pas pour aujourd’hui mais au moins pour les prochaines années » espère la juriste. « L’avantage du droit est que si on le fait évoluer, on fait avancer tout un système affirme-t-elle. C’est un autre niveau de généralisation, dans la durée, et un levier très efficace. » Sur les deux premiers axes du projet, les innovations technologiques sont déjà mises en œuvre, à l’image de fauteuils adaptés pour les parasportifs, et la question du revêtement prise au sérieux.

« Un autre défi, c’est d’avoir une vraie prise en compte du handicap dans toutes les lois, et d’y intégrer, à chaque fois et dès leur rédaction, les personnes en situation de handicap »

Et après les jeux ?

Au-delà des seules performances, Mai-Anh Ngo espère que ces tout premiers Jeux Paralympiques d’été organisés en France, et que la couverture médiatique du Relai de la Flamme paralympique (portée par quelque 1000 éclaireurs et éclaireuses) permettront de pousser la question de l’inclusion et de véhiculer une image positive et énergique des personnes en situation de handicap. « La flamme étant aussi un symbole de force et d’unité, c’est dans cet esprit-là, que je la porterai le 25 août à Antibes ». Elle souhaite ainsi que les Jeux parisiens puissent entraîner une bascule, juridique et sociale, vers ce qu’elle nomme l’« handicratie » : « un autre défi, c’est d’avoir une vraie prise en compte du handicap dans toutes les lois, et d’y intégrer, à chaque fois et dès leur rédaction, les personnes en situation de handicap ».

Plus largement, Mai-Anh Ngo, aussi membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées, déplore un manque de culture de l’accessibilité en France dans la population générale. « Les trottinettes abandonnées sur le trottoir, des poubelles qui gênent le passage, des pots de fleurs à l’entrée des magasins : ce sont des situations comme celles-ci et leur accumulation au quotidien qui mettent les personnes face à leur handicap ». Elle regrette la tendance à penser l’accessibilité comme une problématique qui ne concernerait qu’une minorité en fauteuil roulant. « Alors qu’elle peut toucher tout le monde, à un moment de sa vie, de la circulation en poussette au déplacement de la personne âgée. Une étude européenne a estimé le surcoût de l’accessibilité, si elle est pensée dès la construction d’un bâtiment, à 1%. A ce prix, tous les nouveaux bâtiments devraient être accessibles » insiste-t-elle.