Le Projet IMprove : vers de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les épilepsies néonatales génétiques incurables
Comment en êtes-vous venu à travailler sur les encéphalopathies développementales et épileptiques ?
Laurent Villard : Grâce à un double contrat d’interface pour chercheurs – moi-même – et pour hospitaliers – avec le Pr Mathieu Milh, du service de neurologie pédiatrique du CHU de Marseille – Hôpital de la Timone. A l’époque, en 2010, les neuropédiatres locaux souhaitaient que des généticiens s’intéressent à ces épilepsies du nourrisson. On percevait qu’elles devaient avoir une composante génétique importante aux débuts du séquençage à haut débit ou next-generation sequencing (NGS) qui a révolutionné la génomique et la biologie. Ils se sont donc rapprochés de mon équipe car nous étudions les maladies neurologiques sévères pédiatriques d’origine génétique depuis plus de 25 ans. Le projet ANR IMprove s’intéresse donc spécifiquement à la cause génétique des épilepsies néonatales : la présence de variants pathogènes dans le gène KCNQ2. Ce gène code pour une sous-unité d’un canal potassique composé de quatre sous-unités. Ce canal contrôle l’excitabilité neuronale, c’est-à-dire la capacité qu’ont les cellules nerveuses à échanger de l’information entre elles. Le canal transporte les ions potassium d’un côté à l’autre de la membrane cellulaire des neurones. Il agit comme un frein à l’excitabilité neuronale. Lorsqu’il dysfonctionne, les réseaux de neurones peuvent être anormalement excitables et provoquer des crises d’épilepsie. Cette maladie, incurable, a été décrite relativement récemment, en 2012. Les traitements actuels contrôlent partiellement l’épilepsie et ne permettent pas d’améliorer le devenir neurologique des patients, qui vont rester très déficients sur les plans neurologique, respiratoire, digestif ou encore orthopédique, en raison d’un handicap moteur permanent. Il fallait donc développer des modèles pour comprendre la maladie et faire émerger de nouvelles pistes thérapeutiques.
Que sait-on aujourd’hui de ces maladies ? Comment sont-elles prises en charge ?
L. V. : Dans les premiers jours après la naissance, les patients présentent des crises toniques fréquentes entraînant des contractions musculaires anormales et des apnées. Cette phase orageuse dure de 2 à 15 semaines et donne généralement lieu à une période plus calme où les crises sont rares. Malgré cette apparente évolution positive en termes de convulsions, le processus de développement est définitivement altéré et conduit à une atteinte neurologique sévère et globale. Aujourd’hui, les patients atteints sont traités pharmacologiquement par un médicament contenant de la carbamazépine, un médicament doté de propriétés antiépileptiques, neurotropes et psychotropes. Les crises d’épilepsie sont ainsi contrôlées partiellement, mais pas chez tous les patients. En ce qui concerne le développement neurologique ultérieur, il reste très anormal, même si l’épilepsie a été correctement contrôlée. Le reste de la prise en charge est parentale et multidisciplinaire pour tenter de limiter au maximum le handicap neurologique des patients.
On sait aujourd’hui que les variants pathogènes du gène KCNQ2 représentent la principale cause des encéphalopathies épileptiques précoces. Mais les déficits cognitifs observés sont-ils le résultat d’une altération transitoire de la fonction de KCNQ2 ou cette altération limitée dans le temps est-elle spécifique au cortex moteur ? Les anomalies mises en évidence dans le cortex sont-elles généralisables à d’autres structures corticales ? Autrement dit, nous cherchons à savoir si c’est une anomalie des neurones, dont l’épilepsie est l’expression, qui entraîne un handicap neurologique ultérieur ou bien si ce sont les multiples crises d’épilepsie qui vont entraîner la déficience intellectuelle. Nos résultats précédents ont révélé que l’hyperexcitabilité neuronale est transitoire, suggérant la mise en place progressive d’un phénomène de compensation dont l’origine sera étudiée dans le projet actuel. Nos travaux visent ainsi à déterminer s’il existe une période vulnérable durant laquelle les canaux KCNQ2 jouent un rôle fondamental pour le bon développement du cerveau. Si tel est le cas, cela pourrait avoir des implications importantes d’un point de vue thérapeutique, notamment en ce qui concerne le stade développemental durant lequel un traitement devrait être mis en place pour prévenir les déficits neurologiques.
Quelles méthodes de recherche avez-vous mis en place avec votre équipe et vos partenaires sur le projet IMprove ?
L. V. : Pour étudier au mieux cette pathologie, il fallait tout d’abord retracer l’histoire naturelle de la maladie. Elle est encore peu connue, surtout pour les adultes – ou les grands enfants. Nous avons donc mis en place un registre national. Par ailleurs, il fallait disposer de modèles pertinents. Dans le cadre de notre ANR précédente – EPI’K, notre consortium a développé un modèle animal et produit in vitro des neurones de patients dérivés de cellules souches pluripotentes induites (iPSC) [voir encadré]. Pour IMprove, nous avons associé des compétences complémentaires : cliniciens, spécialistes de la génétique, de l’électrophysiologie, des cellules souches, des comportements moteurs précoces. La combinaison des différentes approches au sein de ce projet a permis d’obtenir des résultats novateurs pour mieux comprendre la maladie et son évolution et réaliser une cartographie moléculaire et électrophysiologique des modèles.