“Les défis de la ville en transition” : deux jours de discussions consacrées à la ville durable

L’ANR n’était pas à son coup d’essai puisqu’il s’agissait du 3e événement qu’elle consacrait à cette thématique depuis longtemps ancrée dans la programmation de l’agence (dès 2008) : en 2012 le colloque – bilan « Villes durables » faisait le point sur la question que posait construction d’une durabilité urbaine, 4 ans après le lancement de son premier programme incitatif de recherche. En 2018, un colloque coorganisé avec l’Ademe s’était intéressé à « la recherche au service de la transition énergétique », incluant des aspects urbains. Retour sur 2 jours de discussions fécondes conviant porteurs de projets et acteurs opérationnels, venus partager leurs réflexions et leur regard sur les défis qui attendent la recherche sur la ville. Des réflexions denses, riches et variées, animées par Valéry Dubois, journaliste et réalisateur spécialiste des questions scientifiques et environnementales.

La recherche sur la ville durable : une préoccupation présente dans la politique de l’agence depuis sa création

Le soutien apporté par l’ANR à la recherche sur la ville durable ne date pas d’hier et s’est très tôt enraciné dans la programmation de l’agence avec la création dès 2008 d’un programme de travail, avec comme objectif de dépasser les clivages thématiques et disciplinaires, de proposer une transversalité des approches, et de soutenir le transfert et l’intégration des travaux de la communauté scientifique vers les acteurs de la décision publique. 15 ans plus tard, cet événement offrait l’occasion de voir si ces objectifs avaient été atteints ou dépassés, et d’identifier les écueils résiduels et les nouveaux défis qui se posent pour la recherche sur la ville durable. Le colloque accompagnait la sortie du cahier thématique de l’ANR présentant les études d’impacts de la recherche consacrée à la thématique urbaine ces 15 dernières années, représentée par une sélection de 132 projets répartis au sein de 9 thématiques, (consulter le cahier). Le programme de ces 2 journées mettait en regards les projets soutenus par l’ANR et ceux soutenus par l’Ademe « deux agences complémentaires dans le champ de la R&D » comme a tenu à le rappeler Claire Giry.

Pascal Bain, responsable du département SPICE et du PEPR Ville durable et bâtiments innovants, a rappelé les différents jalons de la politique de soutien de l’ANR à la thématique urbaine :

Le PEPR Ville durable, bâtiments innovants (VDBI) du Plan d’investissement France 2030 (doté d’une enveloppe globale de 53 M€), visant à soutenir des actions structurelles.
 L’appel à projets générique permettant de soutenir chaque année entre 10 et 15 projets au sein d’un axe thématique dédié : « Ville, bâtiments et construction, transport et mobilité : transition vers la durabilité ».
 Enfin, dernier jalon essentiel du soutien de l’agence à la ville durable : sa participation aux appels transnationaux (JPI Urban Europe depuis 2016, et depuis 2023 le partenariat avec le Driving Urban Transition).

Qu’est-ce qui caractérise la recherche sur la ville aujourd’hui ?

Au cours de ces deux journées la focale a été mise sur 8 thèmes spécifiques : le climat urbain, la biodiversité en ville, les pollutions urbaines, la mobilité douce, l’eau en ville, le métabolisme urbain, une session consacrée pratiques habitantes et une aux projets transformation urbaine. Un certain nombre de pratiques, de méthodes et de préoccupations ont été transverses à ces sessions : le caractère pluri et transdisciplinaire des études menées, le recours fréquent aux démarches participatives, des liens accrus avec les problématiques des territoires, un souci d’opérationnalité des résultats… De manière générale, les recherches présentées ont permis la création de bases de données, d’outils et de méthodes d’aide à la gestion et à la décision publique (gestion de crise, choix d’aménagement etc) et leur mise à disposition des collectivités. L’omniprésence de la donnée dans les travaux de recherche sur la ville durable (recours à la géomatique, IA, jumeaux numériques) a induit des réflexions sur sa nécessaire accessibilité dans un contexte labile pour relever les défis liés à la transition urbaine.

« L’interdisciplinarité est acquise ; elle est essentielle pour capter des dynamiques urbaines très complexes et envisager des scénarios futurs et des stratégies d’aménagement. », Sandra Rome (UGA/ IGE).

La session consacrée au climat en ville était animée par Sandra Rome (IGE) qui a tenu à souligner que l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité étaient des approches désormais acquises dans les recherches sur la ville avec des projets proposant « une imbrication de la modélisation, de la physique, des sciences de l’ingénieur, de la climatologie, de l’urbanisme, du droit, de la géomatique… ». En témoigne l’emblématique projet MApUCE présenté par Valéry Masson (CNRM), proposant d’accompagner les villes dans l’adaptation au changement climatique et qui s’est appuyé pour cela sur un consortium de chercheurs en météorologie, architecture, géomatique, géographie, urbanisme, sociologie, énergie et en droit. Un projet qui s’est traduit par la création de cartes climatiques urbaines formant un outil de diagnostic microclimatique du territoire pouvant servir aux collectivités et agences d’urbanismes. Le projet a même débouché sur la création d’un guide méthodologique de recommandations pour la prise en compte du microclimat à l’attention des collectivités. Cette session a également abordé la question du rafraichissement indispensable des villes par le biais du choix des matériaux (UMat4CC) et par la végétalisation, à travers un projet comme COOLTREES, proposant de caractériser les différentes propriétés physiologiques des arbres pour savoir lesquels favoriser au cours d’aménagements futurs pour refroidir le climat. Le projet Coolparks proposait d’évaluer le comportement thermique et la contribution des parc urbains en termes de rafraîchissement et d’étudier comportement des bâtiments autour en retour, permettant d’orienter les choix d’aménagements futurs.

Nadège Blond (CNRS) qui animait la session consacrée à la pollution en ville a souligné le souci d’opérationnaliser les résultats en vue d’accompagner l’action publique, tout en soulignant qu’il était indispensable de travailler encore sur les rapports entre recherche/collectivités, et de réfléchir à de nouvelles articulations pour accompagner les collectivités sur le long terme. Les projets de cette session proposaient d’évaluer l’impact de la mobilité urbaine sur les expositions aux pollutions environnementales (SYMEXPO), d’identifier les sources de pollution des eaux souterraines (HUNIWERS), ou encore de simuler des épisodes de pollution atmosphérique pour en déduire des effets sur la santé respiratoire (POLLUHEATH). Le projet CARTORISK proposait quant à lui de déterminer les aménagements possibles sur des sites à reconvertir (friches avec sols pollués) en comparaison avec les risques sanitaires impliqués (détermination du budget nécessaire à la dépollution par exemple).

La question de la nature en ville a surtout été abordée sous l’angle de la végétalisation et de renaturation des espaces urbains, avec l’idée de réintroduire du végétal dans des zones très minérales (cours d’écoles avec le projet RECRE, toitures etc) sans avoir à importer des terres fertiles captées ailleurs. Une attention particulière a été apportée aux sols urbains qui remplissent de nombreuses fonctions en milieu urbain comme l’infiltration et le stockage des eaux pluviales, la fertilisation du végétal, son rôle d’habitat pour la biodiversité, de réservoir de carbone, de rafraichissement de l’air par l’évapotranspiration etc. Le projet MUSE (programme MODEVAL-URBA, Ademe) qui a développé une méthodologie et un outil pour établir des critères de qualité et de multifonctionnalité des sols urbains. Des données capitales pour les choix d’aménagements durables des collectivités soucieuses de prévenir les inondations et de limiter les îlots de chaleur urbains. Une ambition semblable à celle du projet BISES qui a dressé un état des lieux des connaissances sur la biodiversité des sols urbains afin d’accompagner la décision des collectivités et des urbanistes dans les démarches de diagnostic de leur territoire en vue de projets d’aménagement. Un projet couplant là aussi sciences académiques et sciences participatives puisque s’appuyant sur des observations réalisées par des citoyens eux-mêmes.

La session consacrée aux mobilités douces, animée par Sonia Chardonnel (CNRS) a permis d’évoquer la question de la mobilité urbaine sous deux angles : l’évolution des pratiques dans les aires urbaines françaises et la manière dont les collectivités créent de la place dans leurs aménagements pour les modes de déplacements alternatifs et durables. Le projet MoDe a conclu à un phénomène de démotorisation des ménages assez marginal dans les métropoles françaises, révélant des habitudes de mobilités très ancrées et des processus de changements de pratiques qui peuvent être très longs. Le projet URFE de son côté, a souhaité interroger l’hospitalité des espaces aménagés à l’égard des modes de déplacement individuels légers, de façon à mieux les accueillir pour répondre aux attentes des usagers. Le projet Velotactique a montré comment des mesures d’urbanisme temporaires pendant la pandémie de Covid-19 ont conduit à la mise en place des corona-pistes qui ont produit de vrais effets leviers sur les pratiques de mobilité quotidienne. Des projets là aussi réalisés en lien avec les acteurs du territoire (le projet URFE a utilisé les données de Strasbourg, Lyon et Aix-Marseille ; le projet INVICY, sur le transport de colis assuré par vélo-cargos électrique en milieu urbain, s’est appuyé sur des milliers de données de La Poste). Camille Rieux (Métropole de Grenoble) a réaffirmé les attentes fortes des collectivités vis-à-vis de dispositifs d’accompagnement issues de la recherche pour savoir comment faire évoluer les pratiques sans générer d’injustices sociales et spatiales, pour « favoriser la mobilité douce sans interdire et pénaliser » en prenant réellement en compte « les besoins des populations en termes d’accès aux ressources et aux aménités urbaines ».

La session « Habiter en ville », animée par Magali Talandier (UGA/PACTE) s’est intéressée à la question des nouvelles pratiques habitantes, des interactions sociales et comportements individuels dans la ville. Le projet SOCOCITY a cherché à identifier les conditions d’une vraie cohésion et mixité sociale en évaluant aussi bien l’environnement physique (équipements et infrastructures publics, aménités urbaines, composition du parc de logements) que l’environnement institutionnel et les conditions économiques locales (marché de l’emploi, services publics etc). Cette session a permis de retranscrire le phénomène d’adaptation des pratiques sociales, habitantes et professionnelle au contexte actuel : le projet CARE par exemple, s’est intéressé aux initiatives consistant à recycler les bâtiments publics. Des initiatives qui permettent de rénover, de réactualiser l’immobilier existant en confiant à la société civile (associations, coopératives, citoyens) qui le transforment et lui donnent de nouvelles destinations. S’en dessinent de nouveaux partenariats entre municipalités et citoyens, mais aussi de nouveaux services gratuits pour des publics plus précaires, de nouveaux lieux de socialisations, de nouvelles formes de travail. Le projet COOP’INNOV s’est intéressé aux mouvements des coopératives d’habitants qui constituent des « prototypes d’habitats durables présentant une forme d’exemplarité en termes de performances et de modes de vie écologiques » et engagent des publics souvent plus modestes et défavorisés.

Ville en transition et enjeux du numérique

La session sur le métabolisme urbain, a permis de constater « la progression de la performance et la généralisation des outils d’analyse du cycle de vie qui sont devenus presque une norme et permettent des modéliser toutes sortes de flux », comme le rappelle Marc Dumont (Université de Lille/TVES). Des études de métabolisme qu’il faudrait élargir non plus à l’échelle du quartier ou du secteur urbain mais à de plus vastes territoires, selon lui. Animant la session consacrée à l’eau en ville, Bernard de Gouvello (CEREMA/LEESU) a souligné la pertinence de l’IA pour faire parler des données parfois éparses et hétérogènes dont on dispose sur un sujet (comme l’a fait le projet CROQUIS alliant sciences de l’eau et recours à l’IA pour enrichir des données SIG). Animant la session « Forme et les projets urbains », Olivier Coutard (LATTS), a rappelé « l’efficacité du recours aux jumeaux numériques (le croisement de données massives et d’algorithme d’intelligence artificielles) pour créer des simulations sur des phénomènes qu’on essaye de comprendre », tout en questionnant la capacité à « changer de trajectoire pour ouvrir le futur, rendre imaginable le futur ». Constat partagé par Anne Ruas (UGE) pour qui le numérique est un « outil précieux et [un] objet intermédiaire pour aider la réflexion sur la ville de demain », mais rappelle le risque et « l’écueil de la réplication systématique ».  Gilles Gesquière (Université Lumière Lyon 2) co-directeur du PEPR VDBI, rappelle que la donnée et le numérique, omniprésents dans les travaux de recherche présentés au cours de ces deux journées (cartographies, datavisualisation), questionnent sur la capacité à construire des modèles durables dans un contexte très évolutif et rappelle l’importance de rapprocher ces modèles des besoins du terrain afin qu’ils puissent être agiles et s’adaptent à la réalité. « La donnée est le terreau de la recherche : « Il faut travailler à l’échelle nationale pour libérer l’accès aux données […] Il faut travailler les données plus libéralement pour relever les défis sociétaux ».

Ce colloque a permis d’exercer « un regard réflexif sur [les] pratiques [de la recherche] et sur l’accompagnement des collectivités dans leurs trajectoires de transition » souligne Anne Varet (Ademe). Deux jours qui auront mis en évidence la grande richesse des sujets de recherche sur la transition urbaine, le décloisonnement disciplinaire des recherches, un souci d’opérationnaliser les résultats, une prise en compte des réalités du territoire, et des exercices de prospectives qui s’approfondissent grâce au recours à la modélisation…« La mobilisation des acteurs de la recherche dans les collectivités s’améliore » remarque Jean Baptiste Marie, (GIP EPAU) et, par le même temps, la recherche se saisit des initiatives qui émergent de la société civile (coopératives habitantes, investissements de tiers-lieux) qui constitue l’un des vecteurs principaux de la transition urbaine aujourd’hui, à côté des impératifs de planification écologique et d’adaptation au changement climatique. Les discussions ont montré que les équipes de recherche disposaient aujourd’hui des compétences et des savoir-faire qui constituent autant de « leviers pour les territoires » comme le souligne Christine Voiron (UCA, CNRS) : « La communauté scientifique dispose de la boîte à outils et des méthodes pour faire de la prospective spatialisée, appliquée aux territoires, offrant la possibilité aux collectivités de projeter les effets de leurs actions au cours du temps ».

Si la recherche sur la ville doit incontestablement s’appuyer sur le territoire, la nécessité d’opérationnaliser les résultats scientifiques ne doit pas se faire au détriment de la recherche elle-même : « La recherche n’est pas non plus là pour répondre immédiatement à l’action publique », rappelle Jean-Baptiste Marie qui précise que le « rôle premier d’une communauté scientifique est de faire de la production de connaissances ». Anne Ruas (UGE) conclue cette journée sur la nécessité d’ « ouvrir la ville sur l’imaginaire et [de] penser indépendamment de l’existant », rappelant l’importance de « soutenir des projets originaux pour les jurys de la science [et] des innovations de rupture ». Autre écueil qui se pose pour la recherche sur la ville : la temporalité, bien exprimée par les mots de Julie Roussel (Marie de Paris) : « Le changement climatique va très vite et il remet en cause la pertinence de nos projets urbains, nous sommes toujours pris de cours ». Comment concilier le temps de la recherche et le temps de l’action publique ? Comment travailler sur la durabilité de projets et d’aménagements urbains dans un contexte d’adaptation constante ? Tels sont les principaux défis qui se posent pour la recherche sur la ville durable.

En savoir plus :

Retrouvez les présentations de la journée

Consultez le cahier thématique de l’ANR sur Les défis de la ville en transition

Site du colloque ANR/Ademe