Nourrir durablement les villes : le défi de l’évaluation environnementale
Pour quelles raisons un cadre d’évaluation est-il aujourd’hui nécessaire ?
Eléonore Loiseau : Nourrir les villes de manière durable implique de diminuer les impacts environnementaux de l’alimentation qui est responsable du quart des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial et est consommatrice de nombreuses ressources. Il s’agit aussi de concevoir des circuits d’approvisionnement résilients face aux changements globaux.
Pour accompagner le déploiement de nouveaux systèmes alimentaires territoriaux, il est nécessaire de concevoir des méthodes d’évaluation environnementale permettant de quantifier leurs impacts et leur capacité à répondre pleinement aux besoins des territoires. Le projet URBALIM vise ainsi à fournir un diagnostic exhaustif de l’approvisionnement alimentaire des villes pour identifier les principaux leviers d’amélioration des performances environnementales ; à caractériser dans une perspective de cycle de vie la vulnérabilité du système à des perturbations environnementales ou socio-économiques (épuisement de ressources, changement climatique, crises économiques, …) et enfin, à comparer l’éco-efficience de différentes stratégies.
Comment évaluer les systèmes d’approvisionnement alimentaire ?
Les développements méthodologiques sont basés sur le cadre de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV), une méthode standardisée et reconnue pour évaluer les impacts environnementaux des produits alimentaires. Sa perspective « du berceau à la tombe » et multicritère permet d’identifier les transferts de pollution entre étapes du cycle de vie et les catégories d’impacts environnementaux. Initialement conçue pour étudier des systèmes à des échelles « micro », le cadre de l’ACV a été adapté pour évaluer les performances environnementales de territoires dans leur globalité. Pour approfondir et opérationnaliser les démarches d’ACV territoriale, nous nous attachons à développer de nouvelles métriques intégrant les concepts de limites planétaires et de vulnérabilité des systèmes à différentes perturbations, et à proposer des méthodes simplifiées pour collecter les données.
Il s’agit d’intégrer différents concepts dans un seul cadre d’évaluation, et de le mettre en œuvre sur un cas d’étude, la métropole de Montpellier en France, pour donner des éléments objectifs aux responsables locaux afin de co-construire des circuits d’approvisionnement alimentaire plus durables.
Le succès du projet repose sur la mobilisation de différentes disciplines (sciences de l’environnement, agronomie, économie, mathématiques appliquées, …) et l’implication des acteurs du territoire.
Quels diagnostics avez-vous pu établir pour le cas de Montpellier ?
Nos premiers résultats montrent la possibilité d’appliquer ces démarches à l’échelle des villes et des territoires afin d’identifier les principales marges de manœuvre pour réduire les impacts de l’approvisionnement alimentaire. Ainsi, les principaux impacts sont générés au niveau de la production agricole (entre 70 et 90 % des impacts pour les produits d’origine animale) et le poids des chaînes logistiques (hors derniers kilomètres) peut être faible même si elles sont étalées sur de très longues distances. À un stade plus préliminaire, de nouvelles métriques sur la vulnérabilité de l’approvisionnement alimentaire ont été proposées en se basant sur les méthodes de criticité des ressources (minéraux, eau, terre). Leur application permet d’identifier de potentiels compromis entre diminution des impacts environnementaux et vulnérabilité des systèmes. Il a été ainsi montré pour le pain que certaines chaînes d’approvisionnement peuvent être davantage performantes sur le plan environnemental mais dépendantes de ressources plus critiques.
Comment les acteurs du territoire peuvent-ils se saisir de ces résultats ?
Nos premiers résultats présentés à la métropole de Montpellier apportent des éléments objectifs pour l’identification de pistes d’action. Un des principaux leviers repose sur un changement de comportement en termes de consommation alimentaire, en allant vers des régimes moins carnés. Repenser les derniers kilomètres, du point de vente aux consommateurs, en se basant par exemple sur des mobilités douces et de nouveaux circuits, est également une piste prometteuse. Les prochaines étapes visent à compléter les métriques existantes et à les appliquer au cas de Montpellier sur des circuits alternatifs afin d’échanger avec les responsables locaux sur les potentiels compromis entre performances environnementales et vulnérabilité des systèmes.
Le projet ANR URBALIM (2021-2024) regroupe des scientifiques issus de 4 instituts : INRAE, l’institut Agro de Montpellier, le CIRAD et le Joint Research Centre. Il bénéficie également de l’appui de la chaire d’entreprises ELSA-PACT et de la chaire UNESCO Alimentation du Monde, et d’un partenariat avec la métropole de Montpellier.