Nouvel éclairage sur le processus de division cellulaire des bactéries : le projet ANR Map-CellDiv
En quoi le mécanisme de la division cellulaire chez la bactérie Streptococcus pneumoniae diffère-t-il des systèmes décrits chez quelques bactéries modèles telles que Escherichia coli et Bacillus subtilis ?
Christophe Grangeasse : « Escherichia coli et Bacillus subtilis sont historiquement les deux grands modèles utilisés pour décrypter le cycle cellulaire et plus généralement la physiologie bactérienne. Leur étude a donc conduit à la caractérisation de différents processus fondamentaux qui ont souvent servi de modèles pour l’étude d’autres bactéries. C’est le cas notamment de la division cellulaire bactérienne. Deux grands systèmes contribuant au positionnement du site de division ont ainsi été identifiés, analysés et expliqués : les systèmes Min et NO. Ces deux systèmes, retrouvés chez de nombreuses bactéries, agissent de concert pour empêcher l’assemblage de la machinerie de division cellulaire ailleurs qu’au centre de la cellule. C’est la raison pour laquelle ils sont qualifiés tous les deux de systèmes de régulation négatifs.
Ils ne sont néanmoins pas retrouvés chez toutes les bactéries et c’est le cas chez les entérocoques, les lactocoques et les streptocoques. Comment ces bactéries positionnent-elles alors leur site de division au centre de la cellule ? C’est en voulant répondre à cette question que nous avons identifié le système MapZ en utilisant la bactérie Streptococcus pneumoniae (le pneumocoque) comme modèle. De manière surprenante et originale, nous avons découvert que ce système ne régule pas négativement le positionnement du site de division au centre de la cellule en empêchant l’assemblage de la machinerie de division. A l’inverse il permet d’identifier le centre de la cellule et d’indiquer précisément le lieu où la machinerie de division doit s’assembler. Il s’agit donc d’un système de régulation radicalement différent de ce qui était décrit et que l’on qualifie de système de régulation positif. »
Comment la protéine Mapz se positionne elle-même au centre la cellule pour contrôler ensuite la division cellulaire ?
C. G.: « Lors de la découverte du système MapZ, cette question est très rapidement devenue centrale dans nos études. En effet, si MapZ agit comme une balise moléculaire indiquant le centre de la cellule pour que la machinerie de division y soit assemblée, comment MapZ reconnait-elle elle-même le centre de la cellule ? La réponse tient en grande partie dans le mode particulier de croissance du pneumocoque qui assemble sa paroi cellulaire uniquement au centre de la cellule. La paroi cellulaire est la structure qui confère la résistance et la forme à la cellule bactérienne. Sa synthèse est donc nécessaire pour permettre l’allongement de la cellule bactérienne avant sa division. Nous avons mis en évidence que MapZ est en fait capable d’interagir avec et de s’ancrer à la paroi cellulaire produite au tout début de la phase d’allongement. De cette manière, au fur et à mesure que la paroi est produite, la protéine MapZ est véhiculée durant toute la phase d’élongation et s’éloigne ainsi du site de division. Lorsque la phase d’élongation est terminée, MapZ se retrouve donc mécaniquement à la frontière entre l’ancienne paroi de la cellule mère et la paroi produite pour générer la cellule fille, indiquant ainsi où est localisé le nouveau site de division. »
Quel est le mode de régulation de ce processus au cours du cycle cellulaire ?
C. G.: « La caractérisation du mode, ou plutôt des modes, de régulation de ce processus est toujours un objectif majeur du laboratoire. Les travaux réalisés dans le cadre du projet ANR Map-CellDiv ont permis de caractériser un premier mécanisme de régulation qui agit de deux manières différentes sur le système MapZ. (1) Le mode de régulation que nous avons mis en évidence est basé sur l’activité d’une protéine-kinase nommée StkP. Cette protéine est capable de phosphoryler plusieurs protéines nécessaires au cycle cellulaire du pneumocoque. Elle est notamment considérée comme un régulateur central de l’assemblage de la paroi cellulaire et son activité influence donc l’élongation de la cellule. Cette propriété impacte donc directement le positionnement de MapZ au centre de la cellule. De plus, StkP phosphoryle directement MapZ. Cette propriété représente la seconde manière dont la phosphorylation régule ce processus. En effet, tout défaut de la dynamique de phosphorylation de MapZ est également néfaste pour la division cellulaire. Néanmoins, nos résultats suggèrent que la situation est plus compliquée et que d’autres aspects du cycle cellulaire influencent le système MapZ. »
Dans quelle mesure MapZ pourrait constituer une cible thérapeutique intéressante pour lutter contre les infections à pneumocoque ?
C. G.: « L’assemblage correcte de la paroi cellulaire bactérienne est un élément central pour leur viabilité. Ce n’est donc pas surprenant si un grand nombre d’antibiotiques largement utilisés de nos jours ciblent les enzymes responsables de l’assemblage de cette paroi. Cependant, et c’est notamment le cas du pneumocoque, un nombre sans cesse croissant de souches deviennent résistantes à ces antibiotiques. Les infections dues au pneumocoque sont par conséquent un souci de santé publique majeure et l’OMS a ainsi inclus le pneumocoque dans sa liste des pathogènes bactériens prioritaires pour la recherche et le développement de nouveaux antibiotiques. Dans ce contexte, développer des molécules ciblant la protéine MapZ représente une stratégie non seulement intéressante mais également prometteuse. Parmi les différentes possibilités que nous avons envisagées, on peut citer celle ciblant la partie extracellulaire MapZ. Nos travaux ont permis de caractériser la structure tridimensionnelle de ce domaine qui interagit avec la paroi cellulaire pour permettre le positionnement de MapZ au centre de la cellule. (2) Toute molécule ciblant ce domaine extracellulaire facilement accessible et interférant avec la capacité de MapZ à reconnaitre la paroi induira un mauvais positionnement du site de division et par conséquent une altération de la viabilité du pneumocoque qui sera incapable de se multiplier correctement. »
Sur quels axes se concentreront vos futurs travaux de recherche ?
C. G.: « D’un point de vue fondamental, nos efforts sont actuellement concentrés sur des aspects propres au système MapZ mais également sur la relation entre le système MapZ et les autres aspects du cycle cellulaire bactérien. Nous sommes ainsi très intéressés par la caractérisation de la “signature moléculaire” reconnue par MapZ au sein de la paroi cellulaire. La caractérisation des partenaires protéiques de MapZ est également un point essentiel de nos travaux pour comprendre à terme comment MapZ et sa phosphorylation influencent le fonctionnement de la machinerie de division cellulaire. D’un point de vue plus appliqué, nous attachons également une grande importance à la valorisation de nos observations. Nous sommes en effet convaincus que ces connaissances fondamentales ouvrent un panel d’applications biotechnologiques et biomédicales. »
Le projet ANR MAp-CellDiv (2015-2019) regroupe deux partenaires : l’unité MMSB UMR5086, CNRS et l’Institut de Biologie Structurale IBS UMR5075, CNRS.