Portraits de chercheurs et de chercheuses en Région Pays de la Loire
Le 23 septembre 2022, l’édition 2023 de l’ANR Tour a fait étape à l’Hôtel de Région des Pays de la Loire, à Nantes. L’occasion de dresser le bilan du partenariat liant la Région des Pays de la Loire et l’ANR qui s’illustre notamment par la création du dispositif « Trajectoire nationale de la recherche ligérienne »*. Lancé par la Région, ce dispositif a vocation à simplifier l’offre de financement auprès des communautés scientifiques et des acteurs de la recherche sur le territoire, et à mieux les accompagner tout en favorisant la performance des laboratoires ligériens. L’occasion, aussi, de partir à la rencontre de porteurs et de porteuses de projets et des équipes de recherche qu’elles soutiennent. Deux laboratoires nantais étaient à l’honneur : le laboratoire Chimie et interdisciplinarité, synthèse, analyse, modélisation, le CEISAM (CNRS/Nantes Université), et le Centre de recherche translationnelle en transplantation et immunologie, le CR2TI (Inserm/Nantes Université/CHU de Nantes). Des chercheurs et des chercheuses ont pu échanger sur leurs parcours. Quelles sont leurs problématiques de recherche et les enjeux qu’elles soulèvent ? Quels ont été, concrètement, les apports de ce partenariat ? Dans quel cadre les chercheurs et les chercheuses ont-ils bénéficié de ce soutien entre l’ANR et la région ? Retrouvez leurs témoignages à travers leurs portraits.
Fabrice Odobel : vers un avenir solaire
Fabrice Odobel est directeur de recherche CNRS au CEISAM et responsable d’une équipe faisant partie de l’axe Ingénierie des matériaux fonctionnels (IMF). Ses travaux portent sur l’énergie solaire, et plus particulièrement sur la photosynthèse artificielle dont l’objectif est de miner une ou plusieurs fonctions clefs de l’appareil photosynthétique naturel. Cette technologie, en plein essor, est rendue possible grâce aux progrès remarquables des connaissances acquises sur les processus de transferts d’électron et d’énergie engendrés par l’absorption de la lumière par la matière. Il pilote les Projets de recherche collaborative (PRC) PECALO (2020) et ELECTROCAT (2022), premier des projets soutenus par l’outil régional ligérien « Trajectoire Nationale ».
« J’ai toujours aimé la science », confie Fabrice Odobel. Tout petit, je jouais déjà à Chimie ou Biologie 2000 ; j’appréciais aussi la physique mais je souhaitais avant tout devenir biologiste et travailler dans la nature. Et surtout, depuis mes 15-16 ans, j‘ai cette intuition que l’énergie solaire sera l’énergie du futur ». L’apprenti-chercheur poursuit cette idée durant toute sa scolarité et bien au-delà. Il fait ses classes préparatoires puis entre finalement dans une école d’ingénieur, « un parcours plutôt classique » ajoute-t-il, avant de se lancer dans une thèse, en 1991, à l’Université de Strasbourg sur la photosynthèse artificielle. Il a eu la chance d’être un des élèves de Jean-Pierre Sauvage, alors chercheur au CNRS, et lauréat du prix Nobel de chimie en 2016 pour ses travaux sur les machines moléculaires. Fabrice Odobel s’envole pour les Etats Unis en 1994 pour suivre un post-doctorat à l’Université de Columbia. Il revient un an plus tard et intègre le CNRS en 1995 au Laboratoire de synthèse organique (LSO, Unité mixte CNRS/Université de Nantes). « Cinq ans plus tard, j’ai pris mon autonomie scientifique en obtenant une habilité à diriger des recherches (HDR) ».
Mettre le soleil en boîte
Il se consacre alors à la conception et la synthèse d’édifices organiques ou organo-métalliques doués de propriétés photoniques, c’est à dire issues de l’interaction de la lumière avec la matière. Autrement dit, il cherche à comprendre des structures qui reproduisent une des étapes clés de la photosynthèse en permettant d’utiliser l’énergie solaire pour produire des molécules d’intérêt comme des composés de base pour l’industrie chimique (méthanol par exemple) ou des combustibles pour le secteur de l’énergie (hydrogène par exemple). Au début des années 2000, il est alors soutenu par un dispositif, l’Action concertée incitative (ACI).
Depuis, il s’attèle à convertir l’énergie solaire en énergie chimique, à mettre le « soleil en boîte », formule qui lui tient à cœur. « Par la porte ou la fenêtre, nous nous dirigeons vers une société solaire : la transition vers les énergies renouvelables et décarbonées est une nécessité, accentuée par l’amenuisement des ressources fossiles et surtout le changement climatique induit par les activités humaines ». Pour le chercheur, il existe aujourd’hui deux principales manières de se saisir de l’énergie solaire. Par une technologie mature : le photovoltaïque ; et par la photosynthèse artificielle, en plein essor. Cette première technologie repose sur des cellules, principalement composées de silicium, qui convertissent l’énergie du soleil, les photons en électricité. Celles-ci atteignent des rendements records ces dernières années. Il travaille, avec son équipe, au développement de cellules photovoltaïques d’un nouveau genre : incolores et transparentes dans le visible – les cellules photovoltaïques classiques doivent être normalement parfaitement opaques pour absorber un maximum de photons émis par le soleil -, ces cellules convertissent non plus le domaine du visible mais celui du proche infra-rouge (NIR). « Cette technologie permettrait d’étendre l’usage du photovoltaïque, notamment dans le BIPV (Building Integrated PhotoVoltaic en anglais) c’est-à-dire l’intégration du photovoltaïque dans l’habitat, pour les vitres de fenêtre ou des serres par exemple, afin de produire de l’électricité. Elle n’entend pas remplacer les cellules silicium mais viendrait en complément » précise-t-il.
Vers une économie circulaire du carbone
La photosynthèse artificielle vise, elle, à concevoir et synthétiser des architectures moléculaires pour miner une ou plusieurs fonctions clefs de l’appareil photosynthétique naturel. Cela peut passer par la photo-décomposition de l’eau c’est à dire le craquage des molécules d’eau en ses constituants que sont les molécules d’oxygène et l’hydrogène. Ce dernier composé étant considéré aujourd’hui comme le vecteur – et non une source – énergétique de demain. « Nous nous appuyons sur ce que font les plantes depuis des milliards d’années : capter l’énergie lumineuse pour activer une molécule en puits de potentiel, comme le CO2 de l’air, pour la transformer en molécules organiques à haute valeur ajoutée. Cette technologie est en cours de développement dans les laboratoires. Demain, nous aurons des centrales à photosynthèse artificielle pour reproduire ce que l’on sait faire en laboratoire à grande échelle : capter la lumière pour transformer l’eau en hydrogène, et/ou à l’instar de ce que font les plantes, capter le CO2 de l’air pour les transformer en molécules organiques, comme le méthanol, une molécule phare pour l’industrie » présage Fabrice Odobel. C’est pour ces travaux qu’il obtient un premier financement ANR en 2020 pour le projet de recherche collaboratif PECALO, visant précisément à développer un dispositif photoélectrochimique tandem pour la réduction du dioxyde de carbone et l’oxydation des alcools, projet qui rassemble quatre équipes : le CEISAM et l’IMN à l’Université de Nantes, le LEM à l’Université de Paris et le LPICM à l’Ecole Polytechnique à Saclay.
Le monde de la recherche évolue, souligne le chercheur, les scientifiques s’adaptent : « Les sources de financements sont le nerf de la recherche. Ce sont des bras de leviers qui nous permettent d’acquérir une certaine autonomie scientifique, de développer nos idées et de démontrer leur pertinence : si nous avons les moyens d’aller plus loin, nous obtenons plus de résultats, et l’on peut lancer davantage de projets en recrutant notamment des doctorants, et en achetant le matériel nécessaire à nos recherches ». Il vient tout juste d’obtenir un deuxième financement de l’ANR, en 2022, pour un projet qu’il pilote également, Electrocat pour Electrocatalyseurs sans métal noble pour la réduction des protons, du dioxyde de carbone et des nitrates grâce aux interactions avec la deuxième sphère de coordination. « Cela nous donne la motivation pour aller encore plus loin dans ces projets de recherche potentiellement de rupture. L’ANR, nous le remarquons, a augmenté ces taux de succès ces dernières années. La rallonge de la région, avec ce nouveau dispositif qu’est Trajectoire nationale, nous permettra de prendre un nouvel élan ». À noter que d’autres dispositifs ligériens existent, comme Étoiles montantes qui accompagnent les jeunes chercheurs et chercheuses pour décrocher, à court terme, un financement de l’ERC – European research council – Starting ou Consolidator Grant ou encore Connect Talent qui soutient l’installation en région de leaders scientifiques de renommée internationale, porteurs de projets de rupture. Ces deux projets de recherche collaboratifs – en particulier – et ses travaux en général servent un objectif commun : favoriser l’économie circulaire du carbone, « le défi du siècle pour contenir le réchauffement climatique » ajoute-t-il.
Aussi, la photosynthèse artificielle a plusieurs cibles : l’hydrogène, par décomposition de l’eau ; la réduction du CO2 de l’air en matière organique ; « et un autre projet qui s’inscrit dans un PEPR** (Programme et équipement prioritaire de recherche), LUMA, pour l’activation du diazote (N2) afin de le transformer en ammoniaque » explique le chercheur, qui enseigne aussi en parallèle à l’Université de Nantes la chimie supramoléculaire, la photosynthèse artificielle et le photovoltaïque de 3ème génération. L’ammoniaque, largement utilisé pour la fabrication des engrais azotés, repose actuellement sur le procédé Haber-Bosch, très énergivore et donc à l’origine de production massive du CO2 dans l’atmosphère. « Comment activer le diazote de l’atmosphère pour faire de l’ammoniaque avec comme seule source d’énergie la lumière ? Ceux qui y arriveront feront une découverte majestueuse. Nous allons tenter d’apporter des éléments de réponse et travaillons sur le premier dispositif » s’enthousiasme-t-il. « Pour ma part, je me contente de contribuer, modestement, à l’avancée des connaissances scientifiques. Ce n’est que dans 50 ou 100 ans que l’on pourra juger de la véritable valeur de ce que l’on a fait aujourd’hui ».
Fabrice Odobel insiste sur l’importance de soutenir la recherche fondamentale : « Pour ouvrir des voies de rupture, il faut combler un maillon manquant qui ne résulte pas toujours d’un raisonnement logique et déductible. On se heurte souvent à des obstacles imprévus, on tâtonne, on arrive dans des impasses. C’est la recherche fondamentale – et ses hypothèses – qui permettent des changements de paradigme, de trouver des solutions innovantes à des problèmes complexes » conclut-il.
Retrouvez le mois prochain le portrait d’Elise Chiffoleau, chargée de recherche de classe normale (CRCN) Inserm, au Centre de recherche translationnelle en transplantation et immunologie, le CR2TI (Inserm/Nantes Université/CHU de Nantes).
* Les premiers soutiens régionaux du dispositif « Trajectoire nationale de la recherche ligérienne » ont été votés en 2021 et 2022 en s’adossant au financement de l’ANR via l’Appel à Projets Générique (AAPG) annuel. Dans ce cadre, la Région des Pays de la Loire a ainsi mobilisé, en 2021 et 2022, 3.6 millions d’euros pour le soutien de 75 projets.
**Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés ou susceptibles d’être liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire ou environnementale et qui sont considérés comme prioritaires au niveau national ou européen. Le PEPR exploratoire LUMA (lumière), piloté par le CNRS et le CEA, vise à étudier, comprendre et développer cet outil unique comme moyen d’explorer et de contrôler les systèmes physico-chimiques et biologiques.