Programme PROPSY : mieux soigner les maladies mentales grâce à la psychiatrie de précision
En quoi la recherche en psychiatrie est-elle un enjeu majeur de santé publique ?
Marion Leboyer : Pour plusieurs raisons. En premier lieu, à cause de la fréquence de ces maladies, puisqu’on estime qu’un français sur trois sera touché par une maladie mentale au cours de son existence.
Ce sont des maladies qui commencent chez l’adulte jeune, entre quinze et vingt-cinq ans, et qui sont des maladies chroniques, qui durent toute la vie.
Elles ont aussi un impact extrêmement important en termes médico-économiques, puisqu’elles représentent la première cause de dépenses de santé, en coûts directs. Et lorsqu’on cumule coûts directs et coûts indirects, cela représente pour la France un coût de 160 milliards d’euros par an, avec une augmentation de 50 milliards d’euros rien que sur la dernière décennie. Et ces coûts continuent à augmenter.
L’impact est aussi très lourd sur le plan sociétal, puisque ces maladies mentales constituent la première cause des « DALYs » ( Disability-Adjusted Life Year ) c’est-à-dire le nombre d’années de vie perdues à cause d’une pathologie, très loin devant les cancers, les maladies cardiovasculaires, les maladies neurodégénératives.
Ces maladies ont ainsi un impact considérable, à la fois sur la vie des patients et, indirectement, sur celle de leurs proches.
Comment expliquer que les maladies mentales occasionnent ces années de vie perdues ?
M. L. : Les maladies mentales sont responsables d’une mortalité plus importante que celle de la population générale, en moyenne entre dix et quinze ans. Pour deux causes.
La première concerne les maladies somatiques associées aux maladies mentales : les comorbidités somatiques sont plus fréquentes que dans la population générale mais bien moins bien prises en charge, notamment à cause de l’organisation du parcours de soins, du manque d’informations.
Cela explique cette augmentation de mortalité qui concerne les maladies cardiovasculaires, les cancers et les maladies infectieuses, nous l’avons vu pendant le Covid.
La deuxième cause de mortalité accrue est le suicide.
Comment décririez-vous l’état actuel de la psychiatrie en France ?
M. L. : En tant que médecin responsable de département, responsable de grands projets, responsable d’un laboratoire Inserm, je dirais qu’on fait un très, très grand écart entre ce qui est fait dans nos services hospitaliers et ce qu’on fait en matière de recherche. Il faut vraiment que l’on arrive à ce que les découvertes scientifiques soient traduites dans la prise en charge, avec l’organisation de nouveaux modes de diagnostic, de nouveaux modes de parcours de soins, de nouvelles stratégies thérapeutiques, de nouvelles compréhensions des facteurs causaux de ces pathologies.
Malgré tous les efforts qu’on peut faire en matière de communication sur le changement de paradigme à l’œuvre en psychiatrie, les fausses représentations et la stigmatisation sont encore extrêmement prégnantes en France et nécessitent un important effort de pédagogie.
Comment le programme PROPSY a-t-il été pensé au regard de ce contexte ? Quelle définition pouvez-vous donner d’une « psychiatrie de précision » ?
M. L. : Si on a considérablement amélioré la compréhension, les outils diagnostiques et les stratégies thérapeutiques, il y a encore énormément à faire pour améliorer le pronostic des patients qui en sont victimes. C’est l’ambition du programme de recherche PROPSY – Psychiatrie de précision, qui a pour objectif de travailler dans le domaine de la médecine de précision psychiatrique. A l’instar de ce qui a été fait dans le domaine de la cancérologie ou des maladies cardio-vasculaires. C’est-à-dire de se saisir d’outils méthodologiques, pour lesquels la France est dotée de plateformes extrêmement efficaces – en imagerie cérébrale, en génomique, en méta-génomique, métabolomique, en intelligence artificielle, etc. Et ce, afin d’améliorer la finesse et la précision des diagnostics par l’identification de sous-groupes homogènes de pathologies au sein de troubles qui sont aujourd’hui connus pour être très hétérogènes.
Une fois ces sous-groupes homogènes bien identifiés, il s’agit d’essayer d’en comprendre les causes et les mécanismes pour développer des stratégies thérapeutiques ciblées, comme cela est fait aujourd’hui en cancérologie. En tout cas, c’est notre ambition et notre rêve espoir d‘aboutir à un nombre conséquent de progrès en la matière.
Par exemple, nous gagnerons en « précision » en développant à la fois des signatures diagnostiques beaucoup plus précises et en développant des stratégies thérapeutiques ciblées, alors qu’aujourd’hui on utilise des médicaments à large spectre qui ne ciblent pas un mécanisme biologique précis et qui sont souvent insuffisamment efficaces avec des effets secondaires indésirables.
Le programme PROPSY se concentre sur quatre troubles : les troubles bipolaires, les troubles dépressifs majeurs, les schizophrénies et les troubles du spectre de l’autisme. Sur quels critères vous êtes-vous appuyée pour établir cette liste ?
M. L. : Ce sont les pathologies sur lesquelles les centres experts de la Fondation Fondamental travaillent depuis la création de la fondation. Ces centres experts ont été déployés sur toute la France et sont aujourd’hui au nombre de cinquante-trois. Ils ont non seulement contribué à améliorer la qualité des soins, mais ont aussi réduit les coûts, amélioré le pronostic des patients, permis la description de toute une série de facteurs de risques, de comorbidités, etc. Ils ont également permis de constituer de très grandes cohortes. Quatre réseaux de centres experts existent et concernent les troubles bipolaires, les schizophrénies, la dépression résistante et les troubles du spectre de l’autisme sans retard intellectuel.