TEAM SPORTS : manager le « JEU » et le « NOUS »

Pourquoi avez-vous saisi l’opportunité de déposer à l’appel à projets du programme (PPR) “Sport de très haute performance” ?

Mickaël Campo : Joueur de rugby depuis toujours, je me suis très tôt intéressé à la dimension mentale des joueurs. Je suis passé très vite entraîneur de rugby en parallèle de mes études en sciences du sport et en psychologie. Depuis 20 ans, je collabore avec la Fédération Française de Rugby, notamment en tant que préparateur mental avec les équipes de France mais également dans la formation des entraîneurs. A l’époque de l’émergence du PPR, les équipes de France étaient capables de performances incroyables et la semaine suivante, cataclysmiques. Nous voulions proposer un projet en lien avec le rugby à sept et la dynamique de groupe. Rapidement, le basket nous a suivis, puis le foot, le hand et le volley.

Qu’est-ce la préparation mentale ? Comment compose-t-elle avec la préparation physique ?

M.C. : On pourrait la définir comme tout travail et moyens mis en œuvre sur la dimension psychologique pour promouvoir la performance et l’optimisation de la performance tout en préservant le bien-être des athlètes. Il s’agit d’un travail sur les habiletés mentales et les variables psychologiques associées à la performance. Pour l’instant, le métier, exercé par des experts dans le domaine de la psychologie du sport, n’est pas réglementé. Or, il ne s’improvise pas et est sous-tendu par des dizaines d’années de recherche. La préparation se déploie en amont du match avec un briefing et une analyse de ce qui va se passer. Pendant le match, elle est l’apanage de l’entraîneur. En aval, un débriefing du match permet de comprendre la dynamique émotionnelle à l’œuvre – la fin d’un match est déjà la préparation du match suivant. Préparation physique et mentale sont intrinsèquement complémentaires. Un joueur mal préparé physiquement, même fort mentalement, ne gagnera jamais de médaille. A l’inverse, s’il est très fort physiquement mais ne sait pas gérer son stress, il ne sera pas champion non plus.

On a élaboré un modèle « systémique » de la performance qui englobe la dimension mentale : les émotions, la confiance, le leadership, la cohésion, l’identité, etc. viennent mobiliser et optimiser les facteurs de base de la performance du sportif.

On pourrait la définir comme tout travail et moyens mis en œuvre sur la dimension psychologique pour promouvoir le bien-être, la performance et l’optimisation de la performance tout en préservant le bien-être des athlètes. Il s’agit d’un travail sur les habiletés mentales et les variables psychologiques associées à la performance. C’est un véritable travail exercé par des experts dans le domaine de la psychologie du sport. Pour l’instant, le métier n’est pas réglementé. Or, il ne s’improvise pas et est sous-tendu par des dizaines d’années de recherche. Pour ce qui nous concerne, cette préparation se déploie principalement en amont du match avec un briefing et une analyse de ce qui va se passer. Pendant le match, elle est l’apanage de l’entraîneur. Puis en aval, un débriefing émotionnel du match permet de comprendre la dynamique émotionnelle à l’œuvre. La fin d’un match est déjà la préparation du match suivant…  Préparation physique et mentale sont intrinsèquement complémentaires. Un joueur mal préparé physiquement aura beau être le plus fort mentalement, il ne gagnera jamais une médaille. Et à l’inverse, s’il est très fort physiquement mais ne sait pas gérer son stress, il ne sera pas champion non plus. Nous avons élaboré le modèle « systémique » de la performance qui englobe la dimension mentale : les émotions, la confiance, le leadership, la cohésion, l’identité, etc. viennent mobiliser et optimiser les facteurs de base de la performance du sportif.

Quels sont les livrables que vous avez proposés pour ce projet ?

M.C. : En premier lieu, de nouvelles connaissances qui mobilisent des champs théoriques inédits dans le domaine de l’optimisation de la performance. Cela s’est traduit par trois actions : une action liée à la formation. Nous avons créé un diplôme d’université unique en Europe sur l’optimisation de la haute performance en sport collectif centré sur la préparation mentale et management d’équipe ; des fiches-outils, des fiches-notions qui retracent les connaissances mobilisées ou découvertes par sport, à disposition des entraineurs. Enfin, dans notre série de podcasts à destination des entraîneurs, un chercheur et un entraineur de haut niveau échangent sur une thématique particulière.

Ensuite, le projet a permis des apports technologiques par le développement d’outils. Un algorithme de tracking comportemental a été développé avec le CEA. Il permet un suivi automatisé du groupe, des comportements des joueurs, selon les sports. Pour le rugby, le tracking concerne plutôt le body language. Pour le handball, plutôt sur le repli en défense qui est un indicateur d’une bonne dynamique de groupe, etc. Un deuxième outil utilisant la réalité virtuelle a permis l’entraînement à la régulation émotionnelle dans un environnement visant à induire un sentiment d’appartenance à l’équipe. Cette application en réalité virtuelle permet également l’habituation au contexte du stade. Les jeunes sportifs des équipes de France n’ont pas toujours l’habitude de jouer devant un public. Cet outil les plonge directement dans l’environnement du stade : les vestiaires, l’arbitre, les adversaires, la foule, les supporters, pour les prémunir de l’envahissement émotionnel lors de la première expérience de match. Enfin, la troisième technologie développée est une mesure du rapport de force psychologique qui a été testée avec le XV de France. L’idée est de capturer le niveau de stress collectif au travers des situations de jeu. Par exemple, le poids de l’essai d’un adversaire sur le stress collectif, d’une perte de balle. A partir de modèles statistiques, l’algorithme nous permet de mesurer la dynamique du rapport de force psychologique sur le terrain, pouvant nous aider à comprendre et mieux anticiper les phénomènes de contagion émotionnelle.

Que pouvez nous dire sur ces notions de « JE » et de « NOUS » ?

M.C. : Selon les approches de l’identité sociale, chacun d’entre nous possède différents niveaux identitaires. Je peux voir le monde au travers de ma personnalité, des caractéristiques individuelles, de mes enjeux individuels ou en tant que membre du groupe. Cette articulation n’est pas simple, notamment en sport collectif de haut niveau où d’autres enjeux, personnels, peuvent dépasser celui de la victoire du groupe : enjeux individuels de représentation médiatique, économiques, de carrière. Nous essayons de comprendre quels sont les facteurs qui viennent influencer ce recroquevillement sur soi ou cette expansion vers le nous. Un de nos constats globaux est que l’environnement du sport collectif s’inscrit souvent dans une symbolique sacrificielle de l’individu pour l’équipe. Or, ces dernières décennies, l’évolution sociétale, l’impact des réseaux sociaux, des jeux vidéo, la starification des joueurs, leur notation post-match par les médias spécialisés, la sphère médiatique etc. placent l’individu au centre et tendent à maintenir les joueurs davantage au niveau du JE que du NOUS… Pourquoi un joueur accepterait de ne jouer que deux minutes sur un match, s’il n’a pas le sens du NOUS ? Mais par ailleurs, s’il fait partie de l’équipe championne olympique sur ce match, il sera champion olympique à vie. Pour que le « JE » s’élève au « NOUS », il faut que l’entraîneur fasse en sorte que le groupe apporte aussi à l’individu.

Au-delà de ses avancées scientifiques, TEAM SPORTS a-t-il eu d’autres apports à l’échelle des fédérations ?

M.C. :  En favorisant le partage d’expériences, d’expertises, nous avons réussi à amorcer une dynamique d’échange au sein même des fédérations de sports collectifs français. De nombreux entraîneurs ont passé le diplôme, 130 entraîneurs bénéficient de nos fiches, de nos podcasts.  Nous sommes en train de finaliser une application de monitoring mental qui nécessitera indubitablement l’accélération de la structuration des fédérations dans ce domaine. Ces projets liés au programme de recherche auront certainement encore plus d’effets pour les jeux de 2028, car l’acculturation nécessite du temps et des personnes en charge du transfert de connaissances. Plus globalement, nous sommes aussi en train de travailler sur la réglementation du métier de préparateur mental avec le Consortium national des préparateurs mentaux, en tant qu’héritage majeur des Jeux Olympiques.

Quelles sont les perspectives du projet pour les Jeux de Paris 2024 et après ?

M.C. : Nous travaillons avec l’équipe de France de rugby masculine sur la notion du « JE » et du « NOUS » et le rapport de force psychologique. La diffusion de nos connaissances auprès des entraîneurs olympiques nourrit leur réflexion et participe à l’optimisation de leur management. Les fédérations de sports collectifs souhaitent continuer TEAM SPORTS d’une manière ou d’une autre, et les contours des domaines d’investigation ont déjà commencé à être identifiés. Il est essentiel que l’Etat pérennise ce genre de financements pour assurer un héritage à ces programmes de recherche. En dehors du monde du sport, nous avons été approchés par le secteur de l’éducation, le secteur médical, de l’entreprise, des milieux où l’on travaille en collectif. Des thèses sont en cours, notamment une étudiant l’émergence de compétences psychosociales au travers de la pratique sportive en écoles de sport chez les tout jeunes. Il y a un impact sociétal potentiel important, nous répondons présents chaque fois qu’on nous sollicite, convaincus que ce que l’on observe dans le domaine du sport collectif peut bénéficier à la vie en société.

En savoir plus :

Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Sport de très haute performance | enseignementsup-recherche.gouv.fr